[Printemps 1995]
c’est une affaire de promeneur urbain
qui franchit le seuil extérieur pour repérer
dans les aménagements,
les traces du passage des occupants.
par Claude-Philippe Benoit
Depuis quelques années, mes recherches débutent avec la visite des différents lieux où se manifestent les enjeux du pouvoir. Ainsi, la matière première de mes œuvres réside dans l’esprit de réflexion. Une réflexion où la pensée prend « le chemin des écoliers » pour transmettre un regard d’observation des plis de la modernité. Ainsi, elle identifie les attributs critiques qui émergent de cette observation de notre système d’idées qui, lui-même, répand la circulation d’axiomes d’une époque moderne en constante redéfinition. Les œuvres ne se veulent pas au registre d’une analyse savante des codes sociaux, mais, plutôt, elles invoquent les forces cachées de la représentation, en auscultant les apparences de vérité des lieux communs du pouvoir. On peut concevoir que ces images se penchent sur les idéologies que se forge la société occidentale – en tant que collectif cohérent – dans ses différentes fonctions basées sur le travail. En quelque sorte, elles s’adressent au phénomène des valeurs (parfois ancestrales) qui nous entourent, que l’on se donne ou qui nous sont imposées. Cette ossature hiérarchique de la vie publique se génère dans les officines du pouvoir, là où l’individu se débat hardiment.
Les sujets se mêlent souvent à une approche formelle utilisant le diptyque qui, d’une part, forme des analogies d’échange entre deux images de nature emblématique et, d’autre part, elle oppose les notions visuelles du point de vue en plan rapproché et celui du plan éloigné. Dans ces œuvres, il se dresse une tension d’opposition amenée par l’effet de va-et-vient qui expose un champ fertile d’avenues de lecture, exclusives ou insoupçonnées. La photographie s’utilise alors comme un médium de prédilection pour faire apparaître des interrogations sur le sens des indices dans l’image. Elle fait rayonner l’allégorie sans abdiquer ses propriétés d’appartenance au réalisme. Le fond se mêle à la forme et le lieu de passage entre les deux interpelle le regardeur. Ainsi, il ou elle prend possession d’un pouvoir d’interprétation de l’œuvre qui se reconnaît dans une lecture singulière plus approfondie. On ne peut alors qu’espérer que ce regard critique sur le contenu de fond se projette plus avant, entraîné par l’appréciation visuelle initiale. Apercevoir l’intangible matière.
Pour l’esprit, les idées n’ont pas de domicile. Elles sont entre deux lieux jusqu’au moment où les images revendiquent le statut d’œuvre et c’est là que prend forme l’insondable. L’image, comme la parole, tient à soutenir son dessein. Entendre ce qui veut être montré pervertit donc cet embryon sans lieu.
février 1995
Claude-Philippe Benoit a grandi à Hull et a suivi une formation en arts visuels, puis en réalisation cinématographique au collège Algonquin, au début des années 1970. Il a ensuite travaillé comme caméraman dans le milieu du cinéma, de la télévision et de la vidéo pendant une dizaine d’années. Il a également une maîtrise en photographie de l’Université Concordia. Il vit et travaille à Montréal. On retrouve de ses œuvres dans plusieurs collections publiques et privées au Canada et à l’étranger. Il est représenté par la Linda Généreux Gallery de Toronto.