[Printemps 1995]

par Robert Legendre

Ce qui me paraît intéressant est de restituer dans la figuration d’un objet tout le système complexe des impressions que nous en recevons dans les positions normales de la vie ordinaire, la manière dont il vient frapper notre affectivité et les formes qu’il prend dans notre mémoire.
⎯ Jean Dubuffet ¹

Je marche dans les rues. Mon regard est attiré vers ces lieux nocturnes où des personnages souvent solitaires semblent trouver refuge. Je suis seule aussi, et je décide de rester ainsi, à observer ce qui se passe en dehors de moi. En choisissant de photographier les personnes de l’extérieur du lieu où ils se trouvent, j’essaie d’évoquer leur isolement et de faire état du mien. La vitre s’interpose entre moi et nous, accentuant l’incommunicabilité déjà existante. Mur à la fois aveugle et transparent, qui dissimule une multitude d’histoires inconnues. Murs que nous érigeons entre nous et en nous-mêmes.
⎯ Phyllis Katrapani ²

Ce texte de la photographe Phyllis Katrapani explique sans équivoque ses intentions. Quant aux images, elles reflètent la délicatesse, voire la discrétion (quoique relative) de l’artiste devant ses sujets d’observation. La « vitre-frontière » forme l’écran essentiel de cette discrétion. Sans dispositif technique lourd ni artifice complexe et possédant une maîtrise tout en nuances de son médium, Phyllis Katrapani nous entraîne dans un univers d’ombres et de chuchotements, où l’éclat d’une source lumineuse surprend tant le voyeur que le sujet photographié. Guidée aussi bien par son intuition que par son expérience, Katrapani nous propose des situations fleurant le 1984 de Georges.

Phyllis Katrapani a étudié à l’Université du Québec à Montréal et à l’École de cinéma de Prague (FAMU). Elle a à son actif deux films où la photographie tient une place prépondérante, Zatisi (Still life), 1992 et Ithaque, en cours de production.