[Hiver 1995-1996]
Mark Lewis : Public Art, Photographs and Projects,
Johanne Lamoureux, Andrew Payne, Mark Lewis et al., Vancouver,
The University of British Columbia Fine Arts Gallery, 1994
135 p., 109 ill., 25×20 cm, $ 20.00
Le travail réalisé par l’artiste canadien Mark Lewis depuis la fin des années quatre-vingt est reconnu pour être un art public critique, situationnel et fugace. Ce catalogue, qui retrace, en reproduisant photographies et dessins, quelques-unes des tentatives subtiles d’art public réalisées par Lewis, aborde, avec deux essais, les propriétés qui font que cette approche critique de l’art est avant tout un art de déplacements. Le texte de Johanne Lamoureux, « Mark Lewis and the Pollution of Monuments », s’inspire de deux romans – Déboulonnage, de l’écrivain russe Anatoly Zlobin, et Le parfum, de l’Américain Patrick Süskind – pour dresser une fiction critique, attachée à la sémantique des signes dans les espaces publics. L’enlèvement, le réinvestissement et la recontextualisation des monuments de Lénine par Lewis – What is to be done? – , ou encore ses machines à odeur, fournitures urbaines déguisées – Odeur de luxe et Odeur de désordre – sont au coeur des questions soulevées par ce texte qui omet, cependant, de tenir compte du travail photographique de Lewis qui occupe l’essentiel de cette exposition. Dans les pratiques artistiques de Mark Lewis, la photographie se trouve toujours en périphérie : elle est là pour faire la preuve, laisser une trace, donner accès, permettre son exposition, entrer au musée.
Andrew Payne entame son essai « The Statue Man » en remarquant le passage mené par Lewis de la photographie à l’art public. Why Lewis’s move to the monument? What would mark its point of contact with the earlier investigation of the photographic image? Plutôt que d’aborder cette question de manière directe, Payne dirige son analyse en poursuivant son interrogation : Why now? Ce qui donne un texte particulièrement fouillé sur la question du monument, la chute du communisme, les conditions transhistoriques de la monumentalité et les périples des Unwanted Lenin recontextualisés par Lewis.
Pour qui s’intéresse à la photographie, ce catalogue ne répond cependant pas à toutes les attentes. La photographie est partout, parfois signée, avec un titre, une année de réalisation, une technique et des dimensions. Pourtant, elle est indifférenciée par le discours qui ne la regarde pas.
Public Information : Desire, Disaster, Document,
Gary Garrels, Jim Lewis, Sandra S. Phillips et al., San Francisco,
San Francisco Museum of Modem Art, January 18-April 30, 1995
187 p., 128 ill. (83 coul.), 31 x 23 cm, $ 49,95
Quinze artistes remarquables – Robert Frank, Andy Warhol, Gerhard Richter, Edward Ruscha, John Baldessari, Dan Graham, Martha Rosier, Larry Clark, Jeff Wall, James Coleman, Nan Goldin, Chantal Akerman, Stan Douglas, Cady Noland et Felix Gonzalez-Torres – réunis par les conservateurs pour leur utilisation et leurs manipulations d’images produites au départ à travers l’objectif d’une lentille (photographically based images). La question de l’ubiquité et celle de la mise en question du médium photographique comme pourvoyeur de vérité sont théoriquement prises en compte par cette exposition, et la réflexion contemporaine critique autour de la question du sens et de la pertinence sociale des images, des artefacts et des documents demeure en filigrane.
Les textes rédigés par les conservateurs de l’exposition et trois spécialistes de la photographie contemporaine – Abigail Solomon-Godeau, Christopher Phillips et Jim Lewis – apportent une réflexion habile, inspirée par les nombreuses modalités à l’oeuvre dans ces représentations ou ces résidus de représentation photographiques. « Inside/Out », de Abigail Solomon-Godeau, est sans doute le texte le plus marquant. Analysant diverses postures photographiques : mode confessionnel (Goldin/Clark) ; degré zéro de l’extériorité photographique (Ruscha/Graham) ; iconoclasme radical (Rosier) ; réalisme déçu (Wall), Solomon-Godeau questionne la position du photographe inside/outside en remarquant que la photographie est un rapt médiatisé par des systèmes de représentation, ce qui rend équivoque la posture du photographe qui maintiendrait une position qui chercherait à se définir de l’intérieur même de ses sujets.