[Été 1998]
par Franck Michel
Lors d’un récent voyage à l’étranger, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs spécialistes de la photographie dont des éditeurs de différents pays. Ces rencontres m’ont amené à faire le point sur l’état des revues de photographie contemporaine dans le monde.
La situation n’est pas reluisante. Au cours des deux dernières années plusieurs revues parmi les plus importantes ont fermé leurs portes. C’est le cas de la magnifique revue japonaise Déjà-vu, l’imposante revue luxembourgeoise Café-crème, et dernièrement La Recherche photographique. Cette revue française était l’une des très rares consacrée principalement à la théorie. Lieu de réflexion et de débats, elle fut partie prenante, pendant plusieurs années, de l’évolution de la photographie contemporaine. Sa disparition laisse un trou béant. Le principal argument évoqué pour expliquer ces disparitions est avant tout le manque de fonds. Il semble aussi que se soit un signe des temps, relié à une crise du monde de l’édition et à la difficulté de s’adapter aux nouvelles transformations de l’image photographique. Malgré tout, de nouvelles revues voient le jour telles que Blind Spot et Double Take aux États-Unis ainsi que Black Flash au Canada jusqu’ici bulletin de la Photographer’s Gallery de Saskatoon qui a décidé de s’émanciper et de devenir une véritable revue distribuée en kiosque à travers le pays.
Les revues sont essentielles pour la photographie contemporaine, et nous devons lutter pour leur survie. Elles s’avèrent être un moyen privilégié, efficace, relativement peu coûteux et accessible à un large public, de diffuser la photographie. Dans un pays comme le nôtre où l’édition photographique piétine loin derrière la plupart des pays industrialisés, elles deviennent d’autant plus importantes qu’elles sont, pour de nombreux artistes, la seule façon de publier et, par le fait même, de laisser des traces durables.
Je ne sais pas encore quel sort réserve l’avenir aux revues de photographie. Vont-elles se faire supplanter par des revues virtuelles, moins coûteuses et dont l’immatérialité correspond mieux à la présentation de certains travaux contemporains ? Mais consulter une revue virtuelle sur un écran d’ordinateur ne procurera jamais autant de plaisir que d’ouvrir fébrilement le dernier numéro d’Aperture ou d’European Photography et c’est sans compter sur la beauté de l’objet imprimé ! Je souhaite donc que les éditeurs, si virage ils doivent faire, suivent l’exemple de la revue anglaise Creative Camera qui consacre dorénavant une large part de son contenu aux nouvelles images, publications virtuelles et sites internet tout en conservant une forme classique. Ouverture dont CVphoto fait aussi preuve comme nous l’avons démontré dans le précédent numéro.
La chronique Point de vue n’aborde pas le problème des revues de photographie, bien que fort intéressant, mais une autre situation tout aussi inquiétante : celle du marché de la photographie au Québec et au Canada. Nous avons invité le galériste montréalais Eric Devlin à se pencher sur cette question et à nous faire part de ses expériences et de ses réflexions.
Les portfolios, quant à eux, sont consacrés aux travaux de trois artistes canadiens qui mènent une réflexion sur le territoire et le paysage : Mark Ruwedel qui, dans la poursuite de son travail sur l’Ouest américain, a repéré et photographié de nombreux lieux dont le nom évoque l’Enfer ou la Mort ; Marlene Creates qui a sillonné les périphéries des villes de Québec et de St-John’s à la recherche systématique des panneaux signalétiques des limites de ces deux villes; et Eileen Leier qui est partie au Yukon sur les traces des femmes chercheuses d’or. Tous trois parcourent des lieux en quête des traces par lesquelles l’humain « signe » le territoire, y appose sa marque. Dans cette recherche, la route joue un rôle clé : elle est le lien indispensable entre l’artiste et son sujet. Ces « paysages véhiculaires » pour reprendre le terme d’Anne Baldassari n’aurait pas été possible sans la route1. Omniprésente, elle est au cœur même de leur démarche.
1 Nous désignons par ce terme le courant photographique qui travaille le thème de la route comme objet esthétique élémentaire, déterminant poétique de la relation entretenue par le photographe au territoire. Anne Baldassari, Le photographe, la route , le territoire, Introduction aux paysages véhiculaires, Les Cahiers de la Photographie n°14, 1984, Paris. pages 3-27.