[Automne 1998]
par Franck Michel
On le sait, on l’a déjà dit et on le confirme : aujourd’hui la photographie joue un rôle prépondérant sur la scène de l’art contemporain. La rentrée culturelle québécoise le démontre une fois de plus en s’annonçant particulièrement riche en expositions de photographies.
Commençons par la première Biennale de Montréal organisée par le Centre d’art contemporain, où l’on retrouve une exposition consacrée à la photographie et à la vidéo, avec, entre autres, le travail de Sally Mann et de Joachim Mogarra. La photographie a aussi la faveur des musées avec Duane Michals au Musée des beaux-arts de Montréal, Clara Gutche au Musée de Joliette et, au Centre Canadien d’Architecture, une exposition regroupant le travail de 15 photographes italiens : Venise-Marghera : Photographie et transformation d’une zone industrielle. Mentionnons également l’événement Déplacement à la Galerie VOX qui souligne l’emménagement dans ses nouveaux locaux du 460 de la rue Ste-Catherine à Montréal. On y verra prochainement les œuvres de Zoé Beloff, André Clément, Susan Coolen, Danielle Hébert, André Paquin, Joan Foncuberta et Patrick Altman. Un colloque sur le commissariat d’exposition complète cette imposante programmation.
De plus, l’automne procurera à CVphoto l’occasion de lancer une vaste campagne de promotion en compagnie de quatre autres revues culturelles québécoises réunies pour l’événement : Espace, Le Sabord, Lettres Québécoises et Revue de théâtre Jeu. Affiches publicitaires, cartes postales, campagne de presse, promotions d’abonnement, soirée de lancement ; les interventions auront pour objectif de montrer que les revues culturelles spécialisées, telles CVphoto, trop souvent considérées comme ardues ou hermétiques s’adressent à tous ceux qui veulent s’informer et approfondir leur connaissance dans un champ spécifique de la culture.
Dans son numéro 44, CVphoto traite de fiction, de narration et de mise en scène avec l’artiste américain Duane Michals et les artistes québécoises Holly King et Andrea Szilasi. En plus des commentaires de Francine Dagenais, Gary Michael Dault et d’une entrevue de Jennifer Couëlle, nous avons invité, pour notre chronique Point de vue, l’écrivaine et sociologue Régine Robin à nous parler d’autobiographie et de fiction.
Précurseur et chef de file de la mise en scène et de la narration photographique, figure emblématique de la scène artistique new-yorkaise des années 80, Duane Michals fait partie des références incontournables de la photographie contemporaine. Après avoir influencé plusieurs générations de photographes, Duane Michals poursuit toujours avec brio sa quête de révéler la réalité invisible dans de courts récits photographiques où se lient image et texte.
Au Québec, Holly King est, elle aussi, une des précurseurs de la mise en scène photographique. Depuis le début des années quatre-vingt, elle invente des paysages, lieux étranges, forêts enchantées, grottes mystérieuses, qu’elle construit minutieusement avant de les photographier. Cet univers fantasmagorique, créé de toutes pièces, s’empare de nous et vient éveiller notre éternel besoin de merveilleux.
Remarquée lors de ses récentes expositions, Andrea Szilasi quant à elle, détourne les conventions classiques de la représentation du corps et de ses organes. Elle récupère, fragmente, colle, coud, tisse, manipule, repoussant sans cesse les limites du support photographique et celles de la représentation pour produire des images singulières et déroutantes qui se confrontent aux idéaux de l’histoire de l’art.
En regardant les œuvres de ces trois artistes, la notion de Théâtre des réalités1 m’est revenue à l’esprit. Bien que remontant à quelques années, où le clivage entre photographie documentaire et photographie fictionnante était plus manifeste, cette expression reste d’actualité. Aucun autre terme ne pourrait décrire aussi bien le paradoxe de la photographie que se plaisent à exploiter de nombreux artistes contemporains dont Duane Michals, Holly King et Andrea Szilasi sont des exemples éloquents. Théâtre des réalités où se jouent l’imaginaire, le fantasme, les vues de l’esprit directement confrontés au réel, du moins à un semblant de réel que seule la photographie est apte à produire.