[Printemps 1999]
Sur la plaque photographique, un homme : nous cherchons son regard et nous l’observons, droit dans les yeux. Sur ces photos d’un noir violacé, ce visage attentif vient à notre rencontre. L’ensemble se réduit à un espace étroit, défini par un énorme arrière-plan violet dont certaines surfaces sont retouchées de noir et de tons rouge sang.
Il s’en dégage néanmoins un certain mouvement évoqué par cette mimique qui attire l’attention : ce regard étrange où les yeux oscillent entre l’éveil, la rêvasserie pensive et la froideur.
par Leo Kandl
La représentation des différents portraits s’offre, pour ainsi dire, en accompagnement d’un fond monochrome, moucheté de points sombres qui créent une ambiance particulière. Sur format réduit, les photos se transforment presque en des silhouettes découpées qui rappellent singulièrement ces figures profilées que l’on retrouve dans les livres d’images ou ces autres, semblables à ces personnages du théâtre de Guignol, ou encore celles qui peuplent les contes de fées. Cette impression insolite vaut aussi par leur reproduction sans relief.
Ces formes de représentation créent une distance face à l’objet reproduit, comme la formalité des couronnements (Krönungen), qui est présente dans toutes les photos. Elle revient comme une constante, une répétition qui nous est racontée comme en filigrane de l’œuvre. Nous reconnaissons ces déguisements de papier : ils ravivent chez nous les images de l’enfance. Ainsi ce personnage de papier plié qui se nomme Tschako, dans son rôle de gendarme. La couronne dénudée permet à l’enfant de se transformer en roi. Un peu comme dans ces reproductions des livres d’enfants de cette époque révolue qui les représente. C’est cette simplicité, liée au regard de l’enfance, qui s’exprime dans cette série de six photos.
Cependant ces déguisements sont trop réguliers dans leurs formes et couleurs pour que l’on puisse les considérer comme découlant d’un simple changement anecdotique. D’ailleurs, pour s’en convaincre il suffit de voir se fondre le noir du chandail d’un des personnages dans ces déguisements, élevant dans une large mesure la silhouette du corps, et le réduisant par le fait à un simple visage.
Ces personnages auxquels Josef Wais fait référence, comme le magicien, le roi, le gendarme, le soldat, le capitaine et le charlatan, tous sont les personnages principaux des contes pour enfants et forment une trame qui leur permet d’exprimer le contrôle, l’autorité et un accomplissement de soi.
La modestie dans la matérialité, dont la simple fonction sert d’indication au déguisement, y fait indirectement référence. Wais élabore ainsi un niveau supérieur de signification dans sa photographie et laisse la représentation se réduire aux contours. Les personnes ont la simple apparence des personnages de contes mais aussi les formes de représentation des cartes à jouer. On atteint là une typologie du médium qui est la base de cette série de photos.
Comme dans plusieurs autres œuvres de Josef Wais, les références personnelles sont utilisées comme médium du contenu. Et dans presque tous les cas, que l’on considère cela en son sens le plus strict ou dans son sens le plus large, il s’agit de politique et non pas de mimétisme. L’image reproduite est considérée comme une copie et prise comme la réalité telle quelle. Il est tout à fait naturel que dans son autoportrait, l’auteur se pose la question de sa propre situation ainsi que la possibilité de se questionner activement sur ses positions individuelles et, par la suite, sur la forme que prendra cette propre position. Cela implique également l’autoreprésentation de l’artiste dans son contexte social et pose la question de son élévation mais aussi de son humiliation.
Nous voici donc face à une réflexion sur ces questions fondamentales du rôle de l’artiste dans la société. Les travaux de Wais ne peuvent donc pas être considérés comme du mimétisme mais bien plus comme des constructions imagées, qui vont être réinsérées, découpées et puis finalement recollées ensemble. Ainsi les joints sont toujours apparents et l’on peut voir les différents matériaux superposés les uns sur les autres. Rien n’est sablé, peaufiné ni même effacé. Le déroulement des différentes étapes du travail reste fixé sur la pellicule comme par exemple Flugsand, de 1986, où de nombreuses photos prises les unes sur les autres n’ont pas été retouchées. L’on retrouve aussi ce genre d’esthétisme brut dans cette autre série : Wer schleft in mir, de 1984.
Nous retrouvons ainsi cet élément de la production, cette indication quant au déroulement de son travail dans de nombreuses œuvres de Wais. À partir de là nous pouvons peut-être établir des ponts avec ses écrits, ses explications musicales et ses objets de design. Ce sont ces insertions faites comme ces blocs de jeu de construction qui font une des particularités de l’œuvre de Wais (comme C. Aigner l’écrivait dans Geschichtete Blick, «regards superposés les uns sur les autres»). Tout cela donne à ces six tableaux une mélancolie certaine : la couleur violet est celle du deuil ainsi bien sûr que le noir repris par les silhouettes : le maintien des personnages reproduit sur la pellicule implique aussi un questionnement sur l’être, différent. Et sur celui qui vient d’ailleurs : qui se cache derrière ? Que trouvera-t-on à l’arrière-plan ? Ces questionnements ne peuvent pas être discrétionnaires, pas plus être attribués, lors d’une première approche, au comportement individuel ou à l’état d’âme du moment. Ce travail doit plutôt être compris comme une ponctuation des liens médiaux (et surtout pas sujette aux modes passagères). Ainsi les autoportraits qui se trouvent dans l’antichambre modeste de l’utilité publique, des représentations individuelles jusqu’au questionnement du collectif, relèvent, dans un sens, du comportement politique.
Vienne, le 16 février 1999
(traduit de l’allemand par Louis Bouchard)
La publication de ce portfolio a été rendue possible grâce à la généreuse participation financière de l’ambassade d’Autriche à Ottawa.
Josef Wais est né en Slovaquie. Il vit et travaille à Vienne (Autriche). Depuis 1983, il expose régulièrement en Autriche et ailleurs en Europe. Il a participé à plusieurs expositions collectives sur la photographie autrichienne dont Cinq Approches de la photographie autrichienne contemporaine à l’Espace Photographique Contretype (Bruxelles, 1998) dans laquelle il présentait la série Krönungen. Josef Wais est représenté par la Fotogallery Wien.
Leo Kandl, né en 1944 à Mistelbach (Autriche), est artiste, conservateur, et auteur de nombreux textes et articles sur la photographie, dont Histoire de la photographie en Autriche (1983), et, de 1984 à 1986, de la page photographique du journal Wiener Zeitung. Depuis 1977, il participe à de nombreuses expositions individuelles ou collectives en Autriche et à l’étranger.