[Hiver 2006-2007]
Arles
du 4 juillet au 17 septembre 2006
En attendant Paris Photo et le Mois de la Photo à Paris en novembre, il ne fait guère de doute que l’événement photographique de l’année 2006 en France aura été les 37es Rencontres d’Arles sous la double direction de François Hébel (direction générale) et de Raymond Depardon (direction artistique), et ce, malgré le respectable succès de Visa pour l’image à Perpignan en septembre. Comme le Mois de la Photo à Paris, les Rencontres Internationales d’Arles ont suscité de nombreux émules et la création de maints festivals photographiques sur les cinq continents, du Mois de la Photo à Montréal à Fotofest à Houston (Texas), en passant par les Rencontres de Bamako et bien d’autres y compris récemment en Chine. Nées en 1970, les Rencontres ont eu la trentaine difficile mais l’édition 2006 semble confirmer la vitalité, le travail et la réussite de l’équipe qui, sous l’œil des « deux François », François Barré (président) et François Hébel, a pris en main cette manifestation internationale depuis 2001.
L’événement qui a fait couler beaucoup d’encre et a donné au festival une certaine aura médiatique cette année se trouve du côté de la direction artistique1. L’année 2006 consacre une carrière exceptionnelle, totalement consacrée à l’image, tant fixe qu’en mouvement, et profondément ancrée dans un style documentaire où positionnement politique, subjectivité et créativité s’expriment librement : celle de Raymond Depardon. Le photographe, qui ne montre aucune de ses images au sein du festival, est responsable de la moitié des 67 expositions que comptent les Rencontres 2006. Sa programmation se décompose en trois catégories :
1 les influences (essentiellement la photographie américaine d’Ansel à Robert Adams sélectionnée dans les collections institutionnelles françaises);
2 les compagnons de route (le reportage, avec un forte tendance Magnum – de Jean Gaumy à Guy Le Querrec, et Susan Meiselas… – mais aussi de Daniel Angeli à Gilles Caron en passant par Donald Mc Cullin);
3 et enfin la jeune génération avec les photographes du politique et de la société – vaste fourre-tout où se rencontrèrent les Philippe Chancel (Corée du Nord), Malik Nejmi (Maroc), Julien Chapsal (les Harkis), Olivier Jobard (l’immigration clandestine), Meyer (Afrique), Olivier Culmann (les téléspectateurs), Gilles Coulon (Afrique), Stéphane Lagoutte (Mauritanie), Laurent Gueneau (Chine), Cyrus Cornut (Chine), Jean-Christophe Béchet (les villes), Raphaël Dallaporta et Ondine Millot (esclavage domestique), Sébastien Calvet (les hommes politiques régionaux paca), Gilles Leimdorfer (rn 7), Vincent Debanne et Frank Gérard (les banlieues), Marion Poussier (les ados).
En marge mais complétant ces trois catégories, cinq expositions concluaient les choix de Depardon, chacune dans des lieux respectifs par opposition aux deux dernières catégories citées au-dessus qui étaient logées dans l’étuve des Ateliers sncf. Ces cinq expositions commençaient par l’époustouflante rétrospective David Goldblatt à la chapelle Sainte-Anne et se poursuivaient avec le dérangeant Anders Petersen au cloître Saint-Trophime, l’intrigant Paul Graham (La nuit américaine) à l’église des Trinitaires, la surprenante exposition de Sophie Ristelhueber dans l’appartement désaffecté du directeur local de la Banque de France, le prédictible esthétisme commercial de Dominique Issermann à la chapelle des Frères Prêcheurs et la décevante Lise Sarfati à l’église Saint-Blaise. Oui, beaucoup d’églises et de chapelles dans ce festival, une belle métaphore de la diversité programmée, un des buts avoués et défendus du directeur et du président du festival2
Le volet des expositions restantes était sous l’entière responsabilité des Rencontres/François Hébel et regroupait des emprunts aux institutions et musées français : la photographie publicitaire en France depuis 1930, les lauréats de la Fondation HSBC – Gadonneix, Pougnaud –, le musée Arlatan d’Arles, l’Agence Régionale pour le Patrimoine Provence-Alpes-Côte d’Azur avec John Davies, Bernard Plossu, Massimo Vitali et Jordi Bernado, le Conservatoire du Littoral avec le projet « Camargue » de Josef Koudelka (des panoramiques en noir et blanc évidemment), et les prix des Rencontres financés par la Fondation Luma et Maja Hoffman. Les nominés des quatre prix à l’exclusion du Prix européen du livre étaient choisis par cinq personnalités du monde francophone : Yto Barrada (dont on ne peut que saluer l’étonnante et fulgurante ascension ces trois dernières années), Alain d’Hooghe (qui nous a rappelé la beauté du nu féminin), le discret Abdoulaye Konaté représentant Bamako, le subtil et brillant Vincent Lavoie qui semble avoir été le seul à s’interroger vraiment sur l’identité et le sens des prix, et enfin Olivier Wahler dont les choix parfois plus qu’étonnants n’ont pas eu l’heur de susciter les votes des professionnels présents lors de la semaine d’ouverture. Les lauréats 2006 sont Alexandra Sanguinetti (Argentine – prix Découverte) avec son travail à la fois émouvant et poétique sur les « Aventures de Guille et Belinda et l’énigmatique sens de leurs rêves », Randa Mirza (Liban – prix No Limit) pour ses photographies en couleur, prémonitoires, de portions de mur d’appartements libanais détruits ou abandonnés pour cause de guerre, Wang Qingsong (Chine – Dialogue de l’Humanité) pour ses tableaux panoramiques élaborés interrogeant la culture chinoise émergente et Walid Raad (Liban – Aide au projet) et sa tentative de documentation de l’état de guerre au Liban.
À signaler également dans la liste des expositions hors « Archipel Depardon », les expositions de Michael Ackerman, Jean Le Gac et Thierry Rajic à l’ex-cinéma Capitole présentées par la galerie Vu’ sous la houlette de Christian Caujolle.
Les deux temps forts des Rencontres 2006, hors expositions, semblent avoir été d’une part la cohérence et la qualité du contenu des projections nocturnes, et d’autre part la controverse soulevée par une nouvelle initiative (un peu rapide dans son organisation) des Rencontres consistant en la création de lectures professionnelles de portfolios (payantes, bien qu’à un coût réduit en comparaison avec Fotofest (Houston) ou PhotoEspaña (Madrid)).
Les deux plus grandes réussites des soirées ont été sans conteste le vingtième anniversaire de l’agence Vu’ agrémenté d’un concert de Patti Smith et le troisième volet arlésien de la collaboration images/improvisation musicale de Guy Le Querrec, Jean-Pierre Drouet, Michel Portal, Louis Sclavis et Henri Texier, soirée où les musiciens étaient évidemment plus respectueux de la mesure que le photographe.
À trente-sept ans les Rencontres ne sont pas « simplement » 67 expositions (un record), mais aussi des stages, un colloque (« Droit à l’image ; enjeux de la démocratie), des projections nocturnes, des débats, des visites d’expositions guidées par les auteurs, un marché de livres photographiques, des prix (cinq pour les Rencontres, plus les prix Oscar Barnack (Leica), Photo Service et European Publishers Award remis lors d’une des projections nocturnes au Théâtre Antique), et depuis l’année dernière « La Nuit de l’année » qui propose une déambulation émaillée de projections (gratuites) dans le quartier populaire et piétonnier de La Roquette.
Malgré une réussite évidente, la nouvelle équipe se trouve confrontée à plusieurs problèmes. Certains sont de nature technique (situation et état des locaux utilisés), d’autres économique (manque chronique dans le budget, montant de la participation financière des consommateurs du festival) et enfin certains d’ordre politique et philosophique. Avec la nomination de Patrick Talbot à la direction de l’École Nationale Supérieure de Photographie d’Arles, une nouvelle ère de collaboration École/Rencontres a heureusement vu le jour et les stages ne s’en portent que mieux même si un problème de locaux affectés à leur enseignement s’affirme d’autant plus que l’ambition avouée de François Hébel3 est de créer un lieu d’éducation photographique permanente.
En tant que le plus ancien des festivals photographiques existants, les Rencontres ont eu à surmonter quelques embûches et ont connu leurs périodes de doute et de remise en cause. En effet, le passage au nouveau millénaire a coïncidé avec quelques années de crise : remise en question du statut et du rôle de la photographie et de son identité tant dans le monde occidental qu’en Arles, baisse des subventions publiques, désaffection du public. La fréquentation d’un public aussi varié que celui d’Arles constitue un des facteurs clé du fonctionnement de tout festival tant du point de vue des collectivités locales que de celui des commanditaires privés, ou des financements propres d’un festival liés directement à sa fréquentation (ventes d’entrées, de catalogues, de gadgets, etc.). À la fin des années 1990, Arles périclitait au point que son existence même était remise en question. Le choix justifiable alors de privilégier une certaine forme de photographie « créative » avait accéléré la désaffection du public professionnel sans trouver par ailleurs un écho suffisant dans le grand public. De cathédrale de la photographie, Arles était devenue église avec une congrégation propre… et limitée. Beaucoup ont rendu alors, et à tort, Gilles Mora, autre grande figure de la photographie française, responsable du naufrage. C’était montrer beaucoup d’ingratitude et peu de respect pour le travail qu’il avait accompli.
La période de test de cinq ans que s’était fixée la nouvelle équipe des Rencontres choisie pour mener à bien la survie du festival en 2001-2002 s’achève donc sur une apothéose d’expositions, de talents, de visions… et de musique, le tout dans une ambiance communicative de collaboration, de respect, d’amitié et, pour reprendre les mots du directeur des Rencontres, François Hébel, de « différences, de multiplicité et de gourmandise ». À noter que la majorité des expositions restent ouvertes jusqu’au 17 septembre, permettant une nouvelle « rentrée en images » drainant un public scolaire et universitaire dans un rayon de plus de 300 km.
1 Parallèlement à la direction technique assurée depuis cinq ans par François Hébel (avec un contrat CDI renouvelable et renouvelé), un directeur artistique peut être choisi : Raymond Depardon (Magnum) succédait en cette année 2006 à Martin Parr (Magnum) nommé en 2004.
2 Se reporter au site Internet (www.rencontres-arles.com) et à l’épais catalogue des Rencontres publié par Actes Sud pour plus de détails.
3 Voir l’interview post-Rencontres de François Hébel effectuée par Didier De Fays sur le site www.photographie.com.
Bruno Chalifour, homme de photographie, partage sa vie entre expositions, écrits et enseignement. Cette même photographie l’a mené de Limoges (France) à Rochester (N.Y.), où il réside depuis 10 ans.