[Automne 2007]
Occurrence, espace d’art et d’essai contemporains,
du 17 mars au 21 avril 2007
Choisir. Le titre n’est pas une coquetterie. On s’interroge tout de même quand on se rend compte que c’est un total de quelque 200 photos qui compose cette exposition. Exposition qui, sans en avoir l’air, fait le bilan de quelque 15 années de pratique assidue. Non que ce soit là une rétrospective à laquelle on est convié. Non, aucune des images n’est temporellement identifiée comme faisant partie d’un corpus antérieur remis en perspective dans cette sélection. Non, il ne s’agit pas de cela! La production de Yan Giguère ne doit pas être prise en coupe et comme un corpus. Il s’agit plutôt d’un travail de longue haleine, du travail d’une vie, tiens! Du quotidien et de la pratique au jour le jour, et naturelle comme une respiration, d’un photographe, d’un artisan aussi.
Comprenons-nous bien, le terme ici n’est absolument pas péjoratif; il est à prendre dans son sens le plus noble. L’artisan est celui qui est au plus près de ses instruments de travail, celui qui les aime et qui en a une connaissance intime. D’ailleurs, Yan est un collectionneur d’appareils photo; tous sont pour lui sources d’émerveillement et outils potentiels qu’il apprend à manier pour en tirer avantage et explorer les finis et textures différents d’images pouvant en résulter et dont il saura faire bon usage. En plus, cet artisan se double d’un artiste qui sait comment nous montrer ce que son attention tranquille et méditative lui a permis de découvrir au fil de sa vie. Ce sont des images de toutes factures: portraits, natures mortes, paysages en plan rapproché, détails dans le relief d’un mur, vues urbaines, images de son univers intime, de l’atelier de sa compagne, artiste comme lui; images d’elle, surtout, dans toutes les circonstances de cette vie qui les a réunis. Un regard amoureux, quoi, auquel rien n’échappe de ce qui forme le cours heureux des choses, des êtres et du temps qui les charrie!
Il y a aussi la logique de son accrochage. Dirions-nous que nous voyons là une disposition en arborescence ou en rhizome? L’une comme l’autre de ces figures supposent un enchevêtrement en provenance d’un tronc unique puis se disséminant en tous sens. Elles sont toutefois dissemblables en ceci que la première s’étend en élévation, progressant vers un faîte unique alors que la seconde s’étend horizontalement, dans une complexité grandissante.
C’est encore la figure de la constellation qui peut le mieux traduire cette mise en forme. En effet, chaque image est unique et totale. Elle forme un bloc d’espace et de temps bien défini. Elle est réminiscence, rappel d’un moment, d’une visite, d’un voyage, d’une promenade dans Montréal, à la quête de quelques visions fugaces et signifiantes. C’est ensemble, toutefois, que l’effet est le plus vivace. Bien sûr, on pourrait dire quelle image est plus ancienne, laquelle fut prise en hiver, laquelle en été; les saisons, les moments et les lieux. Mais on préfère, et de loin, suivre le semblant d’ordre qui nous est proposé, un cheminement sans parcours unique et défini. Les blocs d’images invitent bien à une lecture déterminée mais chacun englobe tout de même plusieurs associations possibles. Il y a aussi la taille, le chevauchement de certaines images, le fait que quelques-unes aient conservé une marge blanche et d’autres, non. Tout cela conditionne la lecture, la commande. Mais cela est effet si doux, si subtil qu’on ne se sent jamais guidé en ce labyrinthe. Ou qu’on l’éprouve juste assez pour apprécier de ne pas être laissé à nous-mêmes, en pauvres égarés. Mais nous sommes bien conduits au sein de la vision d’un artiste, de quelqu’un qui a posé les jalons de sa vision sur les choses mais d’une façon à la fois simple et sensible, tellement que cela pourrait être le spectacle de notre propre environnement, cela pourrait être une version de notre vie.
Voilà pourquoi il est si difficile de choisir. Cent quatre-vingt-deux photos ne peuvent suffire à un tel projet. On imagine sans peine que ce travail est et restera toujours en pleine et constante extension, que des chapitres et des chapitres s’ajouteront encore et encore à ce que nous voyons aujourd’hui. Et qu’on y viendra et reviendra pour découvrir, en un prochain épisode, où la vie a bien pu mener Yan Giguère. Car, en ce lieu qu’il nous montrera, on sera bien sûr d’être nous aussi, d’y habiter tout comme lui mais sans avoir, comme lui, le don de le voir et de le décrire aussi bien!
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (ETC Montréal, CV ciel variable, PhotoVision et Papel Alpha). Il est également l’auteur d’un essai, Chambres obscures: photographie et installation, et de quatre recueils de poésie.
Ce texte est reproduit avec la permission de l’auteur. © Sylvain Campeau