[Automne 2008]
Centre canadien d’architecture, Montréal
27 septembre 2007 – 3 février 2008
«En d’autres mots, cela ressemble à de vraies cités, à de l’architecture véritable. Pourtant il ne s’agit pas d’édifices réels ou actuels, mais bien de modèles à échelle réduite. Nous nous en rendrons habituellement compte en cinq ou dix secondes. L’intention de ce travail n’est pas uniquement de produire un impact initial. Ce n’est pas parce que mon sujet n’apparaît pas dans les premières cinq ou dix secondes que nous avons une impression ou un sentiment de trahison. Les expériences que nous avons en cinq ou dix secondes ne resteront pas en mémoire. En d’autres mots, lorsque nous regardons la photographie de nouveau, cela nous apparaît irréel. En d’autres mots, la première impression et la mémoire que nous en avons deviennent deux choses qui coexisteront après-coup, après avoir vu les modèles à échelle réduite. Dès ce moment, il y a un mouvement entre notre mémoire et ce que l’on voit maintenant. Je crois que ceci est une signification du mouvement dans mon travail.»
⎯ Naoya Hatakeyama1
À la fin du cycle d’expositions Tangente, Naoya Hatakeyama présente Échelles (Scales), trois séries photographiques commandées par le CCA et cinq photographies de maquettes puisées par l’artiste dans cette riche collection.
Entreprise par le conservateur invité Hubertus von Amelunxen avec l’exposition Fractal Palace d’Alain Paiement (2003), Tangente a permis d’exposer des travaux récents de Dieter Appelt (2005) et de Victor Burgin (2006). Ce concept clé en main porté par Amelunxen, reconnu pour ses ouvrages et contributions sur la photographie à l’âge des médias, est simple et respecte deux traditions majeures au CCA: acquérir du matériel photographique contemporain au moyen de commandes et veiller à l’inscription de discours sur et autour des objets collectionnés par l’institution. Pensons à la mission monumentale provoquant la production de 1000 photographies entre 1989 et 1995 sur les parcs aménagés par Olmsted.
Pratiquement, Tangente s’élabore en cinq volets. L’étude d’un corpus d’œuvres conditionné par le conservateur invité, la promesse de réaliser des œuvres pour s’acquitter d’une commande de production, l’engagement à rendre compte de l’exploration dans un catalogue, une conversation entre l’artiste et le commissaire pour l’inauguration et, finalement, une exposition. Annonciatrice de ce qui vient, l’invitation d’Amelunxen répond à la tendance misant sur le réseau (extraterritorial) et à la notion de projets limités dans le temps pour assurer le renouvellement des discours. C’est donc pour sa capacité à trier sur le volet, à tisser des liens et à favoriser la communication que ce conservateur est approché. Pour reprendre le titre accolé à Duchamp dans le catalogue de la première exposition du Surréalisme (1938), il y a du générateur-arbitre dans cette médiation (intérieur / extérieur) entre les artistes, les œuvres, les lieux et le commissaire.
Actif sur la scène internationale, représentant du Japon à Venise en 2001, Hatakeyma est connu pour ses nombreuses vues in progress de points d’observation depuis différents sites surplombant la ville de Tokyo. Par cette invitation à venir étudier un corpus de photographies du CCA, il voit donc son travail interrompu pour produire un événement qui déclenchera l’acquisition et l’exposition de ses oeuvres.
Les photographies proposées et choisies par l’artiste rendent compte d’une position (photographique) intériorisant des fragments mêmes de la relation entre la photographie et l’architecture faisant l’objet de la collection du CCA. New York / Window of the World (2006) comprend neuf épreuves chromogéniques montrant des segments d’une maquette en décrépitude de la vision artisanale de Manhattan installée dans le parc thématique de Shenzen en Chine, où les visiteurs sont appelés à considérer des sites touristiques fameux reproduits à une échelle de 1/15. New York / Tobu World Square (2003-2004) consiste en douze épreuves argentiques montrant des vues générales et des fragments de maquettes hyperréalistes (pour ne pas dire photographiques) de gratte-ciel (certains disparus) de Manhattan reproduits à une échelle de 1/25 dans un parc thématique situé à Tochigi au Japon où 20 000 bonsaïs, arbres maintenus petits par un environnement peu favorable, sont autant de contrepoints à des parcelles d’architectures reproduites et agglomérées avec des anachronismes spatiaux. Par exemple, l’Empire State Building mesure 17.95 m. Enfin, Tokyo / Mori Building (2003), panorama fait de cinq épreuves argentiques, montre une maquette (1/1000) de Tokyo exposée au sommet de la tour complétée en 2003 par un promoteur voyant, dans la capacité à reconstruire les villes, le filon du siècle nouveau.
Monstre, jouet, poupée sont autant d’éléments emboîtés dans la Tangente de Hatakeyama. La ficelle imaginaire qui emballe ce projet à sa pliure redonne au présent, un jeu non fini, propos de touristes, photographes et sites en déplacements.
Manon Gosselin est née à Montréal. Elle détient une maîtrise en études des arts (art contemporain, photographie, accès aux collections). Elle a travaillé pour des centres de documentation, galerie et musée (collections, expositions, recherches, publications).