[Été 2008]
Galerie Graff, Montréal
7 février – 8 mars 2008
Après les Visions domestiques et les Vedute de diverses villes à connotation hautement culturelles, ce sont maintenant les traces combinées du paysage et du film noir qu’Alain Laframboise aborde dans sa dernière série d’images. Le processus de fabrication de ces images reste toutefois le même. Il s’agit toujours de fabriquer une maquette, de forme réduite, de la mettre sous verre et de photographier la scène construite de toutes pièces par le photographe.
Ce sont lesdites scènes qui sont cette fois assez différentes de ce à quoi Alain Laframboise nous avait habitués. Le décor est ici fait d’un véritable fouillis de branchages faisant office de forêt. Mais cette forêt a ceci de particulier que tous les troncs sont à peu près de diamètre égal. En effet, les pseudo-arbres, qui s’entrecroisent assez bizarrement, car ils ne suivent pas toujours un plan vertical comme cela se devrait, ne sont pas de forme assez évasée pour ne pas créer un doute. De plus, on s’attendrait à voir surgir, à partir d’une certaine hauteur du sol, des branches formant un réseau enchevêtré, allant peu à peu vers des brindilles et des branchages plus légers. Or, il n’en est rien ici. Et on ne voit guère plus de feuilles joncher le sol. Où donc s’en sont-elles allées ? Ces branchages étranges, à l’allure de bambou puisque sans feuilles et aux troncs égaux, s’ouvrent sur une clairière humide. Cela sent un peu le climat tropical, les pluies interminables d’une quelconque mousson. Au centre de cette trouée, une automobile, véritable cabriolet d’une marque inconnue, évoquant lui aussi soit un temps passé, soit un lieu exotique où circulent encore des modèles oubliés. Manifestement, cette automobile attend un occupant, car elle semble vide comme nous le révèle la lumière assez drue d’une lune qu’on imagine pleine. Dans ce lieu abandonné, retiré, on acquiesce d’emblée à l’hypothèse que ce soit à un rendez-vous, nocturne et donc suspect, que soit accouru son passager. Et d’ailleurs, il est là, à distance, observant la voiture comme si elle était le lieu même du rendez-vous plutôt que le véhicule qui nous y amenât. Mais est-ce vraiment le passager ? Car, après tout, il n’est pas là seul. Il y a aussi cette silhouette féminine, aux cheveux qu’on devine grisonnants.
Cette série semble le résultat d’une concertation entre plusieurs registres et régimes de l’image. On a noté la référence au paysage construit, produit d’un assemblage, scène fabriquée; en plus de la référence au film noir. Mais il y a aussi le recours à une certaine tentation narrative qui n’est pas sans être, en quelque sorte, tenue en échec et encouragée à la fois par une scénographie strictement constituée. Je dis «tentation narrative» parce que c’est là quelque chose qui affleure sans se manifester en une véritable séquence, en une réelle tonalité discursive. D’une image à l’autre, on ne saurait dire que l’on progresse dans un récit sous-jacent, constitutif de l’ensemble des images et scandant leur succession. On éprouve davantage l’impression de tourner constamment autour du périmètre de cette scène. Comme si là résidait une quelconque vérité. Ou dirait-on plutôt une sorte de ratage voulu. Car on voit bien que cela ne peut être une scène réelle. Il arrive même que l’on devine le rebord de la maquette, sorte de boîte au sein de laquelle la mise en scène a été élaborée. Il en va de même pour la lampe utilisée pour jeter une lumière blafarde, de lune exorbitée, sur la scène. Bref, on sent bien la construction, le faux-semblant. Une sorte de moment décisif (à la Cartier-Bresson) qui tournerait à vide.
Cela va même plus loin puisqu’une image montre un mot constitué en caractères volumétriques au sein même de cette fausse forêt de branchages empruntés. Ce mot est renversé et, après quelque hésitation, on en vient à le déchiffrer : effigies. Il est repris plus loin en plan plus rapproché.
On dirait bien que Parcours est une sorte de bricolage critique et théorique. L’ensemble cherche bien à montrer et à mettre en scène des registres différents qui s’affrontent, se font face, se repoussent aussi. Le cumul entre tentation narrative, référence au film noir, construction de paysage et théâtralisation de l’image bute sur cette légende affichée, apogée autoréférentielle. Or le théâtre dit d’effigie est un type de théâtre où le comédien/manipulateur brandit un média plastique entre lui et le public (marionnette, masque ou autre).
Le personnage devient ainsi un type fixe, un stéréotype. N’est-ce pas un peu ce dont il s’agit ici ? D’une sorte d’agencement de matières à poncifs, à automatisme signifiant, chacune porteuse de son histoire et de son sens propre, de son régime signifiant. De leur emploi combiné, la photographie tire son énergie. Elle fait figure d’instance manipulatrice, grande coquine contrôlante et force active et montrante. Qui se prête à tout de ne s’engager dans rien…
Comme si Alain Laframboise cherchait à animer en elle cela qui fait qu’elle résiste à toute réduction…
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes. Il a aussi à son actif de nombreuses expositions au Canada et à l’étranger.