[Automne 2008]
Galerie Expression, St-Hyacinthe
15 mars au 27 avril 2008
Commissaire : Lisanne Nadeau
Dans cette exposition, plus que jamais, même si cela était déjà son propos en des séries antérieures, Richard Baillargeon pose la question du potentiel narratif de l’image photographique. Évidemment, il le fait clairement lorsque des séries d’images se trouvent entrecoupées de brefs polyptyques, eux aussi photographiques, dont chaque partie montre un simple mot, lettres blanches sur fond noir. Cet ensemble compose dès lors un syntagme haché, une phrase indécise à agencer. C’est ainsi qu’un pronom personnel («elle») peut servir de sujet à trois verbes («retient», «trouve», «ouvre») et accompagne trois substantifs («tempête», «serment», «poussière») dont on peut penser qu’ils pourraient former complément, selon des associations variables à déterminer, à inventer. Un autre polyptyque à placer entre deux autres séries opère de semblable façon.
Les autres compositions assemblent des images photographiques en provenance de diverses sources. Car il y a en effet assez peu d’images de première main dans ces séries. Ce sont des images photographiées dans des encyclopédies, reprises de cartes postales ou en provenance d’un atlas du XXe siècle de 1964, ou encore un lot d’images issues de la presse imprimée et recueillies par l’artiste. Chacune fait 91,5 x 91,5 cm et les séquences sont créées par cinq d’entre elles, mises côte à côte.
Ce peut être une image de crâne de couleur rouge sang, devant un ciel aux nuages duveteux; des femmes vêtues de tchadors; une allée urbaine du début du siècle ou un couple dans l’escalier d’un chalet tout droit sorti des années 1950.
À les regarder, on devine aisément que ce sont des motifs très différents qui ont présidé à leur mise en série. Certaines ont des textures dissemblables, selon qu’elles sont de première ou de seconde main, ou encore en raison de leur datation. En d’autres cas, ce sont les variations entre les plans qui frappent : gros, moyen, éloigné. La couleur est aussi à prendre en considération. Le crâne rouge, au centre d’une série, entre une image de ciel aux nuages éthérés et un monochrome noir et blanc de femmes partiellement voilées, vient aplanir l’ensemble. Car il est un autre élément qui prête sa voix au concert de ces variables : la profondeur des images. Certaines, prises dans des livres, livrent leur planéité. Elles se réduisent à cette surface, renchérissent sur leur caractère bidimensionnel. Elles étalent, en quelque sorte, la sériation, insistent sur la mise en à-plat, sur la séquence, sur une sorte de linéarité narrative. Elles mettent en syntagmes les composantes des polyptyques, les organisent en phrases. Pour créer cet effet narratif, il faut aussi que les éléments se présentent en une sorte de discordance fonctionnelle. Sujet, verbe, adjectif, pronom, complément permettent la lecture, par cette variabilité des fonctions. Il en va de même des composantes différenciées des images. Un syntagme se déploie ainsi par ces variables, dans cette discontinuité signifiante : images de plans et de provenances différents.
Vouloir ainsi «lire» ces séquences, d’après de tels éléments, relève du défi. Est-ce là, de toutes façons, ce que l’on doit faire? Si l’on croit que oui, alors il faut s’en remettre à ce que nous suggèrent les polyptyques scripturaux. Il faut lire autrement, comme cela nous est proposé. Comme il faut en même temps retenir que nous avons là des représentations picturales de mots. Ils sont donc aussi, à leur manière, à comprendre à un second niveau. Ce sont là des images de mots, avant d’être des mots, et c’est à ce titre, photographique, qu’ils sont déconstruits. Librement, devant eux, on se laisse imprégner par ce que ce désordre active : penser, trouver, retenir (capter, je comprends!), ouvrir, remous, naufrage, traverser, lointain, tempête et serment. Des images d’eaux, de courants, de retenue, de captation et d’ouverture. Il y a là le fait de prendre et de garder, devant les remous et les aléas. Et comme les images réelles en polyptyques sont des images de mémoire et de nostalgie, il faudrait croire que ce sont là les aléas de la mémoire active de la photographie dont il est question («poussière» en fait aussi état selon moi : «poussière» comme la granulation argentique de la photographie d’origine).
Cette libre lecture, il faut en faire bénéficier les autres pièces. Là aussi, il faut lire en discontinuité. Nous avons là les images de l’inactualité. C’est par le recours à la mémoire qu’elles s’activent. On les déchiffre selon sa propre sensibilité, certes, mais aussi guidé par leur potentiel narratif. Ainsi tout spectateur est maintenu dans une appétence narrative que la série instille.
Sans doute est-ce ainsi qu’il faut comprendre ce «serment» qui est l’engagement conclu entre la réalité et la fiction, entre le matériau et l’artiste et entre celui-ci et son spectateur. Serment qui touche à la nostalgie et à la captation intuitive des événements capables de mouvoir la sensibilité humaine. Serment logé dans les replis de ces mises en série d’images volées et envolées.
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes. Il a aussi à son actif de nombreuses expositions au Canada et à l’étranger.