[Automne 2008]
Galerie Lilian Rodriguez, Montréal
19 avril au 24 mai 2008
Ayant terminé depuis peu sa maîtrise en arts visuels à l’Université du Québec à Montréal, Yann Pocreau présentait à la fin du printemps 2008 sa première exposition solo montréalaise à la Galerie Lilian Rodriguez. Joignant pour l’occasion photographies et propositions textuelles, son travail s’inscrivait directement dans la suite de la thématique de la narration, remise au goût du jour par le Mois de la Photo à Montréal 2007.
L’exposition Les dialogues acrobatiques proposait deux corpus d’images opposés tant par les stratégies narratives mises en place au sein des photographies que par le traitement du texte les accompagnant. On ne sait jamais où tombent les bombes (2007), première série de trois prises de vue effectuées à l’intérieur du fastueux Théâtre d’Arras, épargné miraculeusement par la Révolution française et les pilonnages des deux Guerres mondiales, présente un homme en fuite suspendu à la rambarde du balcon ou étendu entre les rangées de sièges. Filant au bas des murs, obligeant le spectateur à se plier pour les lire, quelques phrases écrites au « je » adressées à un « tu » anonyme laissent paraître vaguement les impressions qu’inspire le lieu ainsi que la projection fictive de l’auteur dans son histoire. Ce « je », on le soupçonne être celui de l’artiste photographiant et photographié – le fil du déclencheur automatique de l’appareil dévoilant la mise en scène de certaines des images.
Les quatre photographies suivantes, tirées de la série Se Fueron los curas (2007), tranchent avec les précédentes par la simplicité du lieu choisi non plus pour ses fioritures architecturales et ses couleurs impressionnantes, mais pour la théâtralité de sa lumière et le silence religieux qui s’en dégage. Ancien séminaire abandonné durant la période franquiste, l’endroit aux planchers rugueux devient la scène des contorsions de l’artiste, performant pour la caméra. Suivant dans ses postures les traces laissées au mur et au sol par les rayons du soleil glissant de la fenêtre, Pocreau cherche moins dans ces images à imposer une narration qu’à interpréter le lieu dans son contexte présent, déterminé par les conditions atmosphériques de cette journée qui donne à l’espace un ton particulier. Écrit, encore une fois, étonnamment en lettres de vinyle alors que le « je », persistant, donne au texte un ton intimiste, un autre commentaire, disposé en un bloc compact de mots reprenant exactement les dimensions des photographies, est situé de manière à former avec l’image élue un diptyque photographique.
Évitant de suggérer un rapport hiérarchique entre images et textes, l’artiste leur accorde un poids visuel et sémantique équivalent au sein de l’exposition, qui s’offre davantage comme la traduction d’une même expérience d’un lieu en deux médiums, chacun d’eux l’évoquant au moyen de ses propres potentialités expressives. Pocreau fait ainsi ressortir les similarités et dissemblances des modes de signification du texte et de l’image, montrant que tant l’un que l’autre exige une attitude de lecture de la part du récepteur. Par le biais de la lumière, de la saturation des couleurs et par ses positions corporelles, l’artiste donne aux images les tonalités et rythmes de son écriture, qui façonne à son tour le regard que l’on porte sur elles. « Je ne crois pas qu’une ville, qu’un lieu soit un sujet, la ville force le regard, mon regard, je me reflète en elle, elle en moi, les lieux seuls n’existent pas, nous sommes les lieux que nous avons traversés. » Ces paroles de la romancière française Valentine Goby, tirées du Petit éloge des grandes villes (2007), auraient très bien pu être de Yann Pocreau tant elles me semblent résumer le propos de cette exposition, qui tient dans les projections du photographe-écrivain sur les lieux dans lesquels il s’immerge. Constituées de fragments sous-tendus par une histoire à laquelle il n’est fait qu’allusion, les séries photographiques et textuelles laissent au spectateur le soin de remplir par son imagination les vides de la narration. Parlant sans hésitation de la fonction d’ancrage du texte dans son rapport à l’image, Pocreau me semble aussi exploiter ici la profondeur sémantique des mots qui, tout en guidant le sens de l’image peuvent également la faire divaguer. Les dialogues acrobatiques vaudrait ainsi tout autant pour les prouesses physiques du sujet présentées dans les images que pour les acrobaties langagières nécessaires à l’articulation des textes et des images, appelés à résonner les uns dans les autres. L’écho, du texte ou de l’image, qui sera perçu en premier par le spectateur sera ce qui, à la manière d’un admoniteur, orientera sa lecture de l’exposition sans toutefois réussir à en fixer l’issue.
Anne-Marie St-Jean Aubre complète présentement une maîtrise en Études des arts à l’Université du Québec à Montréal. Elle s’intéresse tout particulièrement aux thèmes de l’identité et des enjeux culturels explorés par les pratiques artistiques contemporaines.