[Été 2009]
Maison des arts de Laval
Du 27 septembre au 24 novembre 2008
Commissaire : Madeleine Therrien
Si les frères Sanchez ont été assez actifs dans le milieu de la photographie depuis quelques années, cette présence a surtout été manifeste au sein d’expositions collectives. Aussi est-il particulièrement plaisant de leur voir enfin consacrée une exposition solo en un lieu qui, s’il peut sembler un peu périphérique, forme un très bel écrin à ces œuvres aux accents parfois dramatiques. Cette dramatisation a d’ailleurs été accentuée par un éclairage très sélectif et très orienté qui isole chaque image de ses voisines et lui donne valeur de projection cinématographique. Nous progressons donc au sein de cette exposition en allant d’écran en écran, voyageant d’un univers à un autre, d’une scène à une autre.
Les œuvres retenues pour l’exposition composent un ensemble assez hétéroclite mais très représentatif de la manière des Sanchez. On retrouve en effet chez eux nombre d’images dont l’essentiel repose sur un art de l’apex, de la saisie construite d’un moment décisif. Que les images en appellent aux modes de la photographie familiale (Easter Party), de la photographie d’événements cruciaux et dramatiques (Natural Selection), d’un quotidien magnifié ou non (Overflowing Sink), de la reprise médiatique (John Mark Karr) ou de la sollicitation de codes cinématographiques (Abduction, Masked), l’œuvre est toujours donnée comme point nodal, sommet narratif inféré par les moyens mis en œuvre : posture et gestes des protagonistes, décors, éclairage, angle de vue et construction générale de la perspective présentée sur l’événement simulé.
On retrouve en effet de tout dans cette série particulière. Mais une vision singulière se dessine à travers la sélection. Un certain nombre de thèmes à caractère quotidien, n’excluant pas un certain surréalisme, semble privilégié. Qu’on pense à Overflowing Sink où une quantité diluvienne d’eau déborde d’un évier dont on a oublié de fermer le robinet. Les couleurs criardes, la luminosité déferlante de l’ensemble transfigurent en effet toute cette scène par ailleurs bien banale. Il en va de même de 8 Years Old, image d’un bambin isolé dans sa chambre, boudeur, mais dont l’environnement aux tonalités luxuriantes est magnifié. Easter Party va bien dans le même sens, avec cette parenté applaudissant et encourageant un garçon aux yeux bandés qui cherche à en finir avec cette piñata dont semble couler un sang épais. Ici, l’aspect fantaisiste tourne au macabre et au scabreux, qui est bien un ton dont ont usé plus souvent qu’à leur tour les frères Sanchez. Des pièces telles Masked, Abduction le prouvent assez bien. La première nous montre un jeune homme masqué qui se regarde dans un miroir, prêt à jouer un rôle horrible dans un scénario violent qu’il s’est lui-même inventé et où il se met (ou se mettra, craint-on) en scène. La seconde expose une scène apparemment anodine où un homme d’un certain âge offre des cadeaux à une petite fille, dans sa chambre aux murs inclinés. Il émane de cette dernière un relent de promiscuité malsaine sur lequel le titre vient surenchérir.
À ce propos, il était assez inévitable, et la commissaire l’a bien senti, de présenter de concert, en une même occasion, les œuvres Abduction, John Mark Karr et The Hurried Child qu’unit une subtile trame narrative. John Mark Karr est cet homme qui s’est déclaré coupable, par pure mythomanie, du meurtre sordide et, à ce jour, toujours irrésolu, de JonBenét Ramsey, jeune reine de beauté de six ans. Le parallèle de cette image avec Abduction et cette autre où une jeune fille parade, couronne au front, sur une scène illuminée, n’est pas difficile à établir. Surtout, ce sous-groupe illustre comment les frères Sanchez parviennent à aviver l’effet narratif en suggérant des climats par des références extérieures et médiatiques et grâce à l’insidieuse efficacité de titres évocateurs.
En d’autres occasions, c’est le climat général, insidieux de l’image qui semble la porter vers une sorte d’incitation narrative dont nous initions les paramètres. Je pense, cette fois, à Crematorium, œuvre laconique par excellence. L’image semble, à première vue innocente. Mais le décentrement de l’édifice représenté, dans un décor hivernal qui suggère l’isolement, trace un chemin que l’on est invité à parcourir. Il en va comme si nous étions en train de devenir le personnage d’un film, appelé à la suite d’une quelconque enquête ou recherche. Nous nous préparons, de concert avec ce protagoniste imaginé dans lequel nous nous projetons et qui est aussi notre guide, à quelque épisode funèbre qui rappellera les films Shining ou Fargo. Aux scènes de genre, dont nous avons vu tant de versions dans des expositions de groupe (je pense, entre autres, à The Misuse of Youth, remake d’une photographie de guerre), à celles évoquant un scénario suspendu dont tout reste à découvrir, viennent ici s’ajouter des images qu’on croirait presque, à quelques éléments près, tirées d’un album de famille. N’y aurait-il pas là aveu d’une intention typologique, où les artistes chercheraient à créer un abécédaire des genres, les montrant tel qu’a su les inventorier, au cours de sa brève histoire et dans sa spécificité constructive, la photographie?
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, ETC, Photovision, et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai, Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.