[Été 2009]
Centre VU
Du 10 octobre au 9 novembre 2008
Il est difficile de ne pas mettre en parallèle les œuvres de Reno Salvail avec les pérégrinations dont elles proviennent. On sait combien cet artiste a valorisé l’excursion comme expérience inédite dont il sait tirer ses pièces, fussent-elles à l’occasion construites au sein même des lieux visités et documentées grâce à des installations où différents médiums s’activent à relancer l’œuvre et faire ouvrage à nouveau. Tout est d’ailleurs dans ce fragile équilibre où cet artiste a su faire son nid, périple en des coins reculés d’où il ramène des pièces qui forment elles-mêmes œuvres et mémoire de l’expérience.
Cet aspect, il faut le dire, est un peu négligé dans Les rivières de feu. Il a, cette fois, ramené images et projections vidéographiques qui forment une véritable boîte à images, au sein de laquelle on déambule et qui nous intime de reconstituer une sorte de géographie du récit. Mais la séduction opère mieux que jamais. Dans le carré presque parfait de l’espace américain du Centre VU, il a agencé ses images en des regroupements divers. Certains présentent des blocs de 2, 9 ou plus d’images, rassemblées en des agencements à l’aspect régulier ou non, ordonnés en une ligne verticale et longiligne de 7; bref, le tout varie. Ces groupes font voir agglomérations et concentrations. Ils offrent, en un cas bien particulier où ce sont 31 images qui constituent une forme un rien ovale, une mosaïque de cartes et d’itinéraires, saupoudrée d’images du bourlingueur et de ses bourlingues. En d’autres lieux, ce sont lichens, animaux dont plusieurs ours, détails des terres vues et explorées. Les images sont, la plupart du temps, hautes en couleurs et l’usage occasionnel du noir et blanc rehausse, paradoxalement, ce foisonnement.
Quant à leur contenu, il est diversifié mais tourne essentiellement autour de quelques axes. Il y a, on l’a dit, les cartes et représentations géographiques qui offrent une idée des voyages effectués pour glaner ces images. Il y a aussi celles des environnements immédiats et des habitants accidentellement croisés : animaux et détails de la flore, formations géologiques, montagnes et autres accidents de terrain… et de rencontres. Mais l’essentiel du propos tourne autour de ces Rivières de feu qui sont des références à des sites volcaniques de toutes sortes du Nord du Québec, du Kamchatka (Sibérie) et de la Terre de Feu (Chili). Ces endroits approchés, visités, sont présents par des vues en plongée de méandres semi-liquides, de lacets et sinuosités, de figures de la terre, amas de neige et autres hiéroglyphes de la planète comme vue du ciel, depuis un satellite. L’on se retrouve sans cesse à voyager entre les images à ras de sol, prises dans le cours même de l’expédition, et celles saisies à distance, comme désireuses de donner du recul et du souffle, de l’air, à celui qui vit le tout en différé, le spectateur.
On ne peut s’empêcher de conclure à une sorte de géographie du récit, une sorte de construction qui offre la terre et ses lieux comme propos narratif, en une sorte d’effort de liaison qui forme discours et histoire. Mais, en un sens, il n’y a pas lieu de voir ici un travail tendant vers une histoire en propre et en détails. Certes, il y a bien des allusions, des semblants de fils narratifs qui tressent leur filigrane. Quelque chose se trame en fait qui est du ressort de l’histoire et du cumul biographique. Car il y a évidemment carnet de voyage, journal de bord.
J’ai gardé l’essentiel pour la fin : la projection vidéographique qui vient, depuis le plafond de la galerie, se jeter sur un écran à même le sol. On y voit d’étranges compositions liquides, des miasmes, liqueurs, sérosités, plasma, lave, magma. Le tout dans une farandole où tous les composés s’étirent, se recomposent, serpentent. Les rivières de feu volcaniques deviennent fluides aqueux corporels; cet état premier, essentiel de la matière géologique, inorganique, renvoie aux éléments du corps, aux écoulements sanguins, réseau fondamental qui rejoint toutes parties et tous membres, irriguent depuis le cerveau jusqu’aux organes. Du coup, confronté à ces images, le spectateur s’interroge et se repositionne par rapport aux autres images. Il les regarde maintenant avec un zeste de suspicion. Il y a, là-dedans, il le voit bien maintenant, des prises rapprochées de corps, des images de satellite, des photos d’os, le tout organisé pour évoquer des volcans, des éruptions, des mouvements chtoniens. Le diptyque final vient sans doute tout éclairer. Il met en parallèle l’image bleutée d’un homme, torse nu, manifestement en train de subir un traitement de chimiothérapie et l’image rougeâtre d’une sorte d’hématome ou de lésion en version agrandie. Les tumeurs auraient donc envahi tous les organismes et celui de notre planète rejoint le corps propre de l’homme, lui aussi en butte à la déliquescence funeste.
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, ETC, Photovision, et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai, Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.