Entracte : films d’un futur héroïque – Virginie Doré Lemonde

[Été 2010]

 

par Virginie Doré Lemonde

Entracte : films d’un futur héroïque
CCA, Montréal
Du 25 novembre 2009 au 28 février 2010

Le Centre canadien d’architecture a présenté, l’hiver dernier, une exposition pour le moins particulière. Les galeries se sont transformées en salles de projection dans lesquelles ont été présentés des films traitant tous, de près ou de loin, de l’accélération des déplacements et des progrès de la technologie. Au moyen des découvertes scientifiques ayant permis d’améliorer les conditions de vie et d’augmenter la vitesse dans beaucoup de domaines (allant de l’invention du chemin de fer à l’exploration de l’espace sidéral), le visiteur est porté à se questionner sur l’importance qu’ont les inventions technologiques dans la société occidentale contemporaine.

Divisée en quatre sections, l’exposition présente des films de durées variables, en utilisant différents types d’écran. Ils proviennent des archives de l’ONF, de la NASA, du Musée national de l’air et de l’espace et d’UbuWeb, site Internet qui regroupe plusieurs films expérimentaux et d’avant-garde. La première salle contient des téléviseurs superposés présentant des films d’animation de Norman McLaren et de Paul Glabicki. Ce sont des études sur la vitesse du mouvement, sur l’association de la musique et du cinéma d’animation, surtout en ce qui a trait au rôle de la musique lorsqu’elle accompagne une image en action.

Dans la seconde salle sont projetés plusieurs courts métrages. Ils exploitent également les thèmes du mouvement, de la vitesse et des bouleversements technologiques. Au départ, on a l’impression que ces cinéastes expérimentaux ont axé leurs recherches sur la forme plutôt que sur le fond. Mais les films, qui se situent tous entre abstraction et réalisme, forment, lorsque visionnés les uns après les autres, un ensemble étonnamment cohérent et intéressant. Ils suscitent une réflexion sur l’importance des changements technologiques dans la vie de l’homme moderne.

En fait, comme l’explique la commissaire Giovanna Borasi : « l’exposition est une exploration de la façon dont on représente une nouvelle découverte technologique et la façon dont celle-ci affecte la vie jusqu’à l’extrême ».1 Il est intéressant ici de faire un parallèle avec les théories philosophiques de Marshall McLuhan, qui expliquait, dans Pour comprendre les média : les prolongements technologiques de l’homme, paru en 1964, qu’une nouvelle technologie est directement reliée aux changements qu’elle va entraîner dans la vie quotidienne, physique et sensorielle de ceux qui vont l’utiliser. L’humain développe une relation avec cette nouvelle technologie. Il doit l’apprivoiser. En fait, pour McLuhan, chaque nouvelle technologie « accélère ou amplifie les fonctions humaines, tant au niveau physique que du système nerveux ».2 Ces nouvelles méthodes font maintenant partie du mode de vie. Et les changements que les technologies apportent à l’individu sont permanents, se développant à mesure que l’être humain s’habitue à elles. Ainsi, les révolutions industrielles et les inventions dont il est question dans les films présentés dans le cadre de l’exposition vont contribuer à changer le cours de l’histoire. Et ce, qu’il soit question de la mission Apollo ou de l’invention du Rouli-roulant (film très émouvant de Claude Jutra, réalisé en 1966).

D’ailleurs, une salle entière est consacrée au film Les secrets des missions Apollo, qui dure 22 heures. Film sans paroles, il s’agit des prises de vues directes tournées entre 1966 et 1972 lors des missions de la NASA. Il est donc possible de voir Neil Armstrong marcher sur la Lune, ou encore de découvrir une autre facette de la planète Terre. Il est à noter que tous les films sont disponibles pour visionnement sur ordinateur à la fin de l’exposition.

En fait, l’idée globale de cette exposition est saisissable à mesure que l’on visionne les courts et longs métrages. C’est toute notre relation aux avancées technologiques qui est ici décortiquée. En effet, lorsque l’on visionne plusieurs films d’affilée, il en ressort une réflexion sur le rythme vertigineux de la vie, rythme accéléré par les découvertes technologiques qui nous permettent d’aller toujours plus vite, plus loin, plus haut. Peut-on toujours parler de progrès ? Les avancées technologiques vont-elles parfois trop loin ? À chacun d’en juger. Mais nous sommes à coup sûr confrontés au fait que l’art, les inventions technologiques et les nombreux changements dans les différentes sphères de la communication vont considérablement modifier notre façon de vivre. À la lumière de cette exposition, nous pourrions dire que nous sommes dans la continuité directe de l’évolution prévue par les anthropologues qui, comme Lévi-Strauss par exemple, ont étudié le comportement humain dans ses relations avec les objets et inventions technologiques. Que cette invention soit la fusée qui permet la découverte de l’espace ou le rouli-roulant, l’être humain a toujours été dépendant assez rapidement des nouvelles technologies qu’il inventait, et il s’est souvent avoué vaincu face à elles3.

1 http://www.cca.qc.ca/fr/entracte

2 McLuhan, Marshall, Pour comprendre les média : les prolongements technologiques de l’homme, Éditions Hurtubise HMH, Montréal, 1972, p.23-25.

3 Il est à noter que le CCA présentera la suite de cette exposition, Autres odyssées de l’espace : Greg Lynn, Michael Maltzan et Alessandro Poli, du 8 avril au 6 septembre 2010.

Virginie Doré Lemonde a une maîtrise en Études cinématographiques portant sur la représentation de l’artiste moderne au cinéma. Au printemps 2009, elle a participé à l’organisation du festival de films de La Rochelle. Elle collabore aux revues ETC et Ciel variable.

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