Fiona Tan, Rise and Fall – Virginie Doré Lemonde

[Automne 2011]


Galerie de l’UQAM, Montréal
Du 25 février au 2 avril 2011

Fiona Tan, artiste multidisciplinaire née en Indonésie mais élevée en Australie, demeure maintenant aux Pays-Bas, où elle réalise la plupart de ses œuvres. Rise and Fall, l’exposition consacrée à son travail à la Galerie de l’uqam, pose la question de notre relation, trouble ou non, avec notre passé. Nos souvenirs, qu’ils soient reliés à un événement important ou anodin, s’additionnent immanquablement pour former notre personnalité, qui est donc appelée à se transformer à mesure que nous traversons les torrents de la vie.

En début d’exposition, l’installation nommée Provenance nous invite à découvrir des portraits d’individus que tout semble éloigner. Inspirée des portraits hollandais du xviie siècle, Fiona Tan a filmé en gros plans et en noir et blanc des personnes de son entourage, telles des natures mortes et des portraits filmés. Tan propose d’abord un questionnement sur la spécificité des formes d’art, tentant de relier peinture et cinéma, ou du moins de forcer le visiteur à créer un parallèle entre ces deux façons de représenter le visage humain. Les personnages représentés sont sa belle-mère, un ami, son fils. Ils fixent l’objectif, le regard dur et l’air distant. Plus qu’en peinture, il semble que le regard direct dans l’objectif soit très perturbant, probablement parce que plus vivant. Il y a également des personnages qui nous semblent moins statiques, qui bougent, comme cette femme qui se prépare pour un spectacle de cabaret, ou la jeune femme déambulant dans un appartement, décrite comme représentant la fille illégitime de Rembrandt.

L’aspect spécifique du cinéma par rapport à la peinture étant le mouvement, le fait que les personnages puissent nous regarder intensément tout en vaquant à leurs occupations quotidiennes donne l’impression au visiteur d’être voyeur, de contempler ces gens par le trou de la serrure. Car l’artiste n’a pas tenté de reproduire des toiles connues ou même le style des peintres du xviie siècle; plutôt, elle a modernisé le médium en utilisant un thème commun (un être humain), mais en changeant de procédé technique. Ainsi, en conformité avec le sujet de l’exposition, Fiona Tan chamboule les temporalités et remet au présent l’art de faire un portrait, interrogeant du même coup l’aspect his­­-to­rique de ce genre artistique.

La seconde installation, Rise and Fall, est composée de deux écrans sur lesquels sont projetées des images représentant d’abord des torrents d’eau. Filmées aux chutes du Niagara, en Belgique et aux Pays-Bas, ces images et les sons associés à l’eau pourraient symboliser le temps qui passe. En effet, suivent d’autres images montrant deux femmes, l’une âgée et l’autre jeune. Est-ce la même femme à deux époques éloignées ? L’une est-elle la fille de l’autre ? Peu importe, car dans les gestes quotidiens représentés (le maquillage et le bain pour la dame âgée, l’amour et les promenades pour la jeune femme) nous prenons conscience de nos propres vies qui passent.

Il s’agit de petits moments de vie volés par la caméra, que l’on soit au printemps ou à l’automne de notre existence. Les portes qui s’ouvrent et se ferment, la force vitale des éléments naturels comme l’eau et les arbres sont autant de témoins silencieux du temps qui fuit inexorablement. Les rêves et les souvenirs pouvant parfois, avec le temps, s’entremêler, on en vient à se demander si ce que l’on croit être un souvenir ne serait pas plutôt le produit de notre imagination, si les souvenirs de cette femme, par exemple, ne sont pas magnifiés par les années, si les évé­-nements qu’elle a oubliés n’ont pas été remplacés par des fantasmes transformés en souvenirs.

La troisième et dernière installation, Projection, revient sur l’idée de la réinterpré­tation de l’art du portrait. Devant cet autoportrait à trois niveaux – l’artiste s’est filmée dans son studio, puis a projeté la sé­quence sur un drap de lit, qu’elle a filmé1 – nous sommes portés à nous interroger sur la perception que nous avons de nous-mêmes et sur celle que les gens ont de nous. Comme le drap est en constant mouvement et que l’image de Fiona Tan est parfois floue, il est facile d’en conclure que nous avons assurément une vision altérée de notre personne et que nous sommes constamment en représentation.

En fait, Fiona Tan propose une introspec­tion. En nous obligeant à nous questionner sur la notion de souvenir personnel puisque faisant sans arrêt, dans ses installations, des allers et retours entre le présent et le passé, l’artiste provoque chez le visiteur une réflexion sur son identité et sur ses souvenirs. Mais l’artiste n’explore pas uniquement la notion de souvenirs personnels, elle s’intéresse également à celle des souvenirs collectifs relatifs à l’histoire d’un peuple. En effet, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, les frontières entre individualité et collectivité tendent à s’effriter, de la même façon qu’il nous est parfois difficile de différencier nos propres souvenirs de ceux appartenant à l’histoire récente de notre pays ou, plus près de nous, à l’histoire de notre famille. Par exemple, à la fin de notre vie, serons-nous capables de discerner la provenance des éléments qui ont contribué à notre construction identitaire ? Probablement pas, nos souvenirs, peu importe leur provenance, se confondront sans doute, dans une certaine mesure, avec ceux de nos semblables.

1 Livret d’exposition Fiona Tan Rise and Fall. Commissaire : Bruce Grenville.

 
Virginie Doré Lemonde a une maîtrise en Études cinématographiques portant sur la représentation de l’artiste moderne au cinéma. Au printemps 2009, elle a participé à l’organisation du festival de films de La Rochelle. Elle collabore aux revues etc et Ciel variable.

 
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