Voir surgir sur les murs et les façades des villes les visages surdimensionnés de ses habitants, se réapproprier l’espace de la ville pour publiciser une présence, pour affirmer une identité : voilà ce en quoi réside le cœur des projets que nous vous présentons dans ce numéro. Instrument d’une collaboration, la photographie se fait ici porteuse d’une affirmation publique !
JR est un artiste français qui se décrit comme un « artiviste ». Ses projets d’affiches monumentales, reliés à des enjeux chauds de l’actuaalité politique, ont fait la une de tous les grands journaux et magazines internationaux. Nulle surprise. Dans la mesure où ses portraits, réalisés en complicité avec les communautés concernées, jouent de la dérision ou de l’affirmation tranquille pour faire voir ce que l’on ne veut ou ne peut pas voir, qu’il s’agisse de la situation des jeunes des banlieues françaises en feu, des femmes du tiers-monde ou, ici, de la vieillesse. Ses affiches monumentales se retrouvent dans des lieux ou sur des surfaces improbables : mur de séparation israélien, quartiers chics parisiens, murs de favelas, toitures de trains et, ici, sur les murs des vieilles maisons de Shanghai dominées par les gratte-ciels. D’où l’immense écho que l’artiste reçoit, d’où la pertinence de présenter ses travaux au public d’ici pour une première fois.
Un tel art d’intervention est ici mis en contraste avec un projet photographique qui constitue une image publique institutionnelle profondément enracinée dans son mandat.
Le visage de la diaspora africaine, une murale monumentale visible depuis la rue, composée de quelque 2,000 images reçues de tous les coins du monde, donne ainsi une vue d’ensemble très concrète de cette diaspora dispersée à laquelle le MoAD veut justement donner une visibilité et une identité. Le fait que l’image matrice, un simple portrait d’une jeune ghanéenne, ait été réalisée par un photographe, Chester Higgins Jr., qui a consacré l’essentiel de son œuvre à la représentation de la diaspora, magnifie d’autant plus la dimension collaborative et communautaire de ce projet. Cette murale ne constitue peut-être pas une œuvre d’art au sens traditionnel du terme, mais elle redonne certainement une portée à la présence de l’image photographique dans l’espace public.
De telles préoccupations ont aussi leurs représentants ici au Québec dans le travail collaboratif et communautaire que réalise depuis dix ou quinze ans le duo Miki Gingras et Patrick Dionne. Ancrée alternativement dans les réalités de communautés d’Amérique latine ou dans celles des quartiers moins favorisés de Montréal, sa démarche est tout d’abord fondée sur une volonté de transmettre des savoir-faire permettant de fabriquer et de communiquer ses propres images de soi. Dans cette démarche, le sténopé véhicule la magie élémentaire de la photographie et les images qui résultent de cet apprentissage s’inscrivent alors dans un processus d’affirmation publique par le biais d’un affichage sur les lieux de vie de la communauté.
L’ensemble de ces travaux témoigne donc qu’une utilisation de l’image photographique dans l’espace public peut ressortir d’une autre logique que celle de la réclame commerciale et que, dans cet espace ouvert à tous, l’art peut plus qu’il n’y paraît au premier abord. …un enjeu que nous avions déjà souligné dans un précédent numéro portant sur l’art public (CV82).
Jacques Doyon