[Printemps/été]
Adad Hannah
Les Russes
Pierre-François Ouellette art contemporain, Montréal
Du 10 septembre au 22 octobre 2011
À l’automne 2011, il n’y avait pas que le Mois de la Photo à Montréal qui présentait de la photographie. Plusieurs galeries privées de l’édifice Belgo avaient « stratégiquement » décidé de montrer le travail de talentueux photographes. Dans ce contexte, l’exposition « Les Russes » d’Adad Hannah à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain se démarquait. Pour réaliser « Les Russes », Hannah s’est rendu dans les banlieues et petits villages aux alentours de Saint-Pétersbourg en Russie. Muni d’un équipement restreint, qu’il transportait à vélo, le photographe/ vidéaste est allé rencontrer la population locale pour lui demander de se tenir en position figée devant son objectif. En prolongeant le temps de pose pour filmer ce qui aurait normalement dû être photographié, l’artiste a enregistré l’activité naturelle du corps, qui ne peut rester totalement fixe.
Dans cette exposition, Hannah poursuit sa série des Stills, son corpus de travail le plus important, dans laquelle il s’intéresse à ce qui subsiste de la vidéo lorsqu’elle est dépourvue de son et de mouvement. Il en résulte des images qui, au premier regard, semblent immobiles. Une lecture plus attentive révèle des figurants qui tentent de rester immobiles, sans y arriver complètement. Leurs yeux qui clignent, leur oscillation et leur respiration viennent briser l’illusion de statisme. Entre immobilité et mouvement, entre enregistrement et direct, ces images sont des performances sans action, des photographies sans fixité et des vidéos sans processus d’édition : « Stills depict a curious state of limbo which problematizes assumptions about each of the referenced media formats: they are performances without action, photography without stasis, video without editing. Just as the ontological distinction between media blur …. » Hannah s’est fait connaître, surtout à Montréal, pour ses reenacments de tableaux historiques et ses investissements de lieux muséaux. Pour « Les Russes », l’artiste met toutefois de côté ces deux pratiques. Ainsi, cette série s’apparente davantage aux Family Stills : sous-ensemble amorcé en début de carrière pour lequel les membres de la famille et les amis d’Hannah représentaient des scènes du quotidien.
De plus, pour cette exposition, Hannah a fait un usage du téléviseur pour présenter ses Stills, comme un mode de présentation qu’il avait délaissé depuis quelques années. En effet, le travail récent de l’artiste dédie une seule image par écran pour la présenter en boucle continue de manière à insister sur l’aspect « tableau » de chaque Still. Dans « Les Russes », Hannah revient à une présentation plus télévisuelle du Still en montrant plus d’une monobande par moniteur vidéo. Chez cet artiste, le dispositif de présentation joue un rôle important dans l’interprétation des images, car il propose un contexte d’utilisation à celui qui regarde l’œuvre. Pour cela, l’artiste a inventé différentes stratégies pour présenter ses Still. Dans « Les Russes », il expose de la photographie « traditionnelle » et utilise l’écran à plasma. Ainsi, l’artiste modifie les conditions de réception et influence l’expérience du visiteur, qui doit faire appel à différentes « habitudes de lecture », ce qu’Hannah nomme « spectatorship mode ». Somme toute, cette œuvre réutilise plusieurs motifs et modalités de présentation employés en début de carrière, mais délaissés par la suite. Il n’en demeure pas moins que l’exposition de l’espace 216 du Belgo s’avère l’une des plus rafraîchissantes d’Adad Hannah, car elle présente sous un jour nouveau un travail entamé depuis 2000. À mon avis, l’un de ses meilleurs solos de 2011.
Journaliste culturel, critique d’art et commissaire indépendant, Eloi Desjardins possède une maîtrise de production en étude des arts de l’Université du Québec à Montréal. Depuis 2004, il couvre les arts visuels et médiatiques de Montréal par le biais d’Un Show de Mot’Art, une émission de radio et un webzine.