[Hiver 2013]
Ivan Binet
Bribes
Galerie Lacerte art contemporain, Québec
Du 18 mai au 9 juin 2012
Au printemps dernier, Ivan Binet exposait, à la Galerie Lacerte art contemporain de Québec, une série de douze photographies de paysages, tels des portraits de lieux étranges, insaisissables au premier coup d’œil. Travaillé numériquement, chacun de ces paysages est construit au moyen de plusieurs images, toutes captées depuis différents points de vue. Alors que, pour certaines des photographies, le montage est flagrant, pour d’autres, il se veut beaucoup plus subtil, presque imperceptible. Tous les tirages présentent ainsi un rendu fort soigné et travaillé. En fait, l’artiste y a mis en avant la beauté des lieux en pratiquant une juxtaposition de captations et d’effets, qui engendre des énumérations visuelles et une accumulation de flous.
Les images de l’exposition montrent trois types de lieux, paysages côtiers, forestiers et miniers se succédant dans la galerie. Proposé en introduction de l’exposition, le littoral madelinien est représenté, dans différentes photographies de format panoramique, divisé, hachuré, multiplié par les diverses épreuves qui composent les montages. Au centre de la galerie, les multiples zones de mise au point et les nombreux flous des images forestières trahissent le « collage » d’images obtenues par l’effet de débalancement et de décentrement de l’objectif de la caméra. Le sentiment que l’on ressent en regardant ces photographies s’apparente au vertige que provoque l’immensité de la forêt. Les derniers lieux mis en image dans cette exposition sont des paysages miniers, nommés simplement Mine 1, Mine 2, Mine 3 et Mine 4. Impressionnantes par l’étendue des couleurs et des textures qu’elles proposent, ces représentations semblent moins retouchées que les huit précédentes. Pourtant, en y regardant de plus près on s’aperçoit que, bien que l’image entière semble nette, des plans très rapprochés et très éloignés s’y côtoient dans une même prise de vue. À travers un montage des plus discret de ces différents plans, Binet nous donne donc à voir les nuances gigantesques que présentent ces mines. Intervenant ainsi sur ses images, Binet rompt avec la tradition du paysage, renonçant à la seule perspective de travailler en grand format en captant la nature dans ses moindres détails pour produire une épreuve d’une netteté et d’un réalisme impeccables. Son œuvre semble en fait inspirée, d’une certaine façon, par la photographie d’artistes tels Hamish Fulton. Mais, tandis que Fulton captait le résultat de son intervention sur le territoire, Binet intervient sur la photographie du lieu resté intègre. Toutefois, ce pourrait être au demeurant deux moyens différents de présenter au regardeur une expérience toute personnelle des paysages représentés.
En effet, en modifiant ses prises de vue, peut-être Binet nous montre-t-il les endroits comme il les a vus en en faisant l’expérience. Quoi qu’il en soit, contrairement à la photographie traditionnelle de paysage, cette exposition nous transporte loin de l’unique contemplation. Binet ne nous y présente pas qu’un lieu, il nous en rapproche, nous en fait côtoyer un aspect nouveau. Dans les photographies de littoral, par exemple, l’intimité de l’endroit transparaît plutôt que l’impression de grand espace. Et c’est cette relation d’intimité avec le paysage, avec la nature, qui fait la force du travail de Binet.
On ne saurait omettre toute la réflexion sur la modification du territoire par l’homme, très présente dans les œuvres exposées. L’artiste semble interroger cette manipulation en nous montrant des paysages façonnés. En même temps, il nous propose de très beaux lieux, telles les mines, qui n’existeraient pas sans la transformation du site par l’homme. La position du photographe sur ces interventions n’est pas tout à fait claire. Binet transforme numériquement un paysage qui, lui, est déjà transformé physiquement par l’action humaine. Sans glorifier ni dénoncer cette incursion, l’artiste nous montre le côté esthétisant du travail de l’homme sur son environnement. Ce faisant, il nous permet de voir les côtés moins sombres de l’altération du territoire par l’exploitation minière ou l’aménagement du littoral.
Somme toute, l’exposition Bribes porte très bien son nom ; ce sont, en effet, des bouts de paysage qui y sont présentés,
des « éclats » de lieux, rapiécés, créant un nouveau tout, plus près du ressenti que du montré. Et parmi cet ensemble d’œuvres dont la manipulation et la transformation du paysage par l’homme constituent le moteur, certaines images nous happent, d’autres nous questionnent. C’est dire que, malgré la rupture avec la tradition photographique, la sensibilité trouble que ces lieux suscitent et leur inquiétante beauté amènent sûrement à une certaine contemplation.
Catherine Lebel Ouellet vit et travaille à Québec où elle termine une maîtrise en histoire de l’art à l’Université Laval. Ses recherches actuelles portent sur le Land art et la relation de l’œuvre au territoire. Elle collabore à diverses publications et revues, tant comme auteur que comme photographe.