Depuis les années 1990, on assiste à une montée en puissance des imaginaires de la criminalistique. Ce phénomène est observable aussi bien dans la littérature contemporaine, que l’on pense aux romans de Kathy Reichs (Déjà Dead, 1997), elle-même anthropologue judiciaire de profession, qu’à ces séries télévisées (Crime Scene Investigation, 2000 ; Forensic Files, 2000 ; Bones, 2005) où l’on entretient la croyance en l’infaillibilité des expertises médico-légales. Notre appétence pour les systèmes probatoires pourvoyeurs de vérités incontestables a pour emblèe le mot forensic. Traduit en français par « forensique », ce terme est désormais accolé à l’ensemble des disciplines engagées dans un processus d’enquête criminelle : forensic anthropology (anthropologie judiciaire ou médico-légale), forensic linguistic (linguistique légale), forensic entomology (entomologie judiciaire), forensic botany (botanique judiciaire), etc. L’adjonction de ce qualificatif est révélatrice du tournant criminalistique pris par ces sciences et disciplines au cours des dernières décennies. Télévision, littérature, sciences biologiques et humaines, architecture, discours critique, on ne compte plus les domaines déclinés sous le mode de la forensique.
Cette spectacularisation de la criminalistique constitue un trait marquant de notre contemporanéité. Aussi serait-il infondé de croire que les arts visuels soient demeurés imperméables aux imaginaires probatoires associés à ce phénomène culturel. C’est à l’analyse de ce phénomène que s’attache le présent dossier. Quelles formes de visibilité prennent aujourd’hui nos croyances ? Pourquoi a-t-on toujours besoin des images pour dire vrai ? En quoi l’art contemporain requalifie-t-il les régimes de vérité soutenus par la criminalistique ? Peut-on envisager une esthétique de la forensique que les pratiques contemporaines auraient voulu critiquer, métaboliser ou subvertir ? S’il est un dénominateur commun à l’ensemble des pratiques artistiques réunies dans ce dossier, ce serait peut-être celui-ci : l’affirmation d’un paradigme esthético-légal de l’art caractérisé par la posture d’expert, mieux de plaideur adoptée par les artistes, et par le rétablissement du spectateur dans sa fonction arbitrale vis-à-vis de l’image.
avec des essais de
Vincent Lavoie, Susan Schuppli, Alexis Lussier, Marianne Cloutier, Gaëlle Morel, Bénédicte Ramade
et les travaux de / and works by
Errol Morris, Corinne May Botz, Paul Vanouse, William E. Jones, Emmanuelle Léonard, Phil Chadwick