Agence Stock : 25 ans d’histoires
Maison de la culture Plateau-Mont-Royal, Montréal
Du 6 décembre 2012 au 6 janvier 2013
Le photojournaliste a l’œil vif, la gâchette rapide. Voilà pour le cliché. Or, en entrant dans l’exposition anniversaire de l’Agence Stock Photo à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, il était difficile de se défaire de ce préjugé. La salle d’exposition, dans sa version petit format, était remplie à pleine capacité. Pas un mur n’avait été laissé en blanc.
Pourtant, au gré de la visite, on se rendait vite compte que de clichés faciles, cette expo était exempte. Intitulée 25 ans d’histoires – notez le pluriel –, elle assumait pleinement l’idée que le photographe de presse, même indépendant de tribune, voire à cause de cela, gagne à multiplier ses prises, ses points de vue, ses récits.
Le choix (délibéré ?) de remplir l’espace d’exposition permettait de sortir plus d’une fois des sentiers battus. Le 11 septembre 2001 ? Oubliez Manhattan ; c’est avec les habitants du Vermont qu’on se recueille. Les nuits rave, le festival de Saint-Tite ou, plus récemment, une Birmanie à peine ouverte aux étrangers, font partie de ces sujets qui ont permis aux membres de l’agence de se distinguer.
Stock a été fondée à la fin des années 1980, à des millénaires du monde des médias d’aujourd’hui. Elle a disséminé ses reportages dans tout ce que le Québec comptait, et a compté depuis, de magazines et de journaux, mais aussi de publications internationales réputées. L’exposition ne raconte pas cette histoire de succès ; les références aux parutions sont tues. Il se peut aussi que certaines des images n’aient jamais été publiées. Cela ne les rend pas pour autant moins pertinentes. Par cette expo, et depuis toujours, Stock a cherché à faire reconnaître au photojournalisme québécois un statut d’art, de souche humaniste, dans la lignée des Cartier-Bresson et Capa.
En cela, et par les très sommaires textes descriptifs qui accompagnent les images, 25 ans d’histoires se distingue de toutes les expositions sur le photojournalisme. Pour une fois, les œuvres – n’ayons pas peur du mot – sont laissées à elles-mêmes. En fait, les quelques phrases présentes sont à ce point écrasées au bas des images, qu’on ne cherche plus à les lire. Si le besoin de bien remplir la salle nous rapproche de la réalité de l’édition de presse – pas question de laisser un vide dans une page –, le peu d’importance accordé au texte nous en éloigne.
Douze photographes faisaient partie de la sélection : Benoit Aquin, Josué Bertolino, Normand Blouin, Laurent Guérin, Hubert Hayaud, Miguel Legaut, Horacio Paone, Jean-Eudes Schurr, Marie-Hélène Tremblay, Robert Fréchette, Caroline Hayeur et Jean-François Leblanc. Ce sont les trois derniers, parmi les plus connus du groupe, qui ont trié les corpus. En directrice artistique, Hayeur a opté pour une présentation sur bannières verticales, par thèmes et par années.
À coups de deux ou trois photos par bannière, ou davantage comme dans la mosaïque sur le chaotique Sommet des Amériques en 2001, le dernier quart de siècle passe en coup de vent. Le revoir à travers la douzaine de lentilles donne l’impression de revivre une sorte de best-of de l’époque. D’Haïti post-Duvalier en 1987 à Haïti sous les décombres en 2010, en passant par Oka, les émeutes post-coupe Stanley, la déroute financière en Argentine ou les questions environnementales, l’actualité dicte les reportages. Mais il n’y pas que ça. Des sujets hors actualité, moins reliés à une date et à un lieu précis, parsèment la rétrospective. Les séjours auprès des communautés autochtones, qui fondent la signature Robert Fréchette, en sont parmi les meilleurs exemples. Son triptyque sur la réserve La Romaine, tiré d’un reportage réalisé entre 1987 et 1989, décrit une réalité de chasse et de solidarité, non sans laisser transparaître des cas plus sombres, comme la mort et l’alcoolisme.
Chronologique en grande partie, heureusement pas d’un bout à l’autre, 25 ans d’histoires aurait gagné à être montée par un commissaire extérieur. Les quatre banderoles consacrées au Printemps érable montrent certes des images inédites, ce conflit encore très frais à notre mémoire n’avait pas à figurer en surnombre. Caroline Hayeur et ses collègues semblent avoir manqué de recul. Ont-ils voulu éviter de froisser quelqu’un en n’incluant pas ses meilleurs coups de 2012 ?
À vouloir être exhaustive, la célébration prend le mauvais pli d’une manifestation type World Press Photo, qui ne hiérarchise rien, pour qui le gros plan d’un tireur embusqué équivaut à un gros plan d’une grenouille. Or l’un provient de l’urgence d’informer, l’autre de la patience de documenter. Prise entre ces deux pôles, Stock a néanmoins tiré souvent son épingle du jeu. Il aurait été intéressant qu’on nous le souligne autrement que par un méli-mélo.
Jérôme Delgado est critique d’art et de cinéma et pratique de manière parallèle la traduction. On peut le lire régulièrement dans les pages culturelles du quotidien Le Devoir depuis 2007, ainsi que dans le magazine Séquences. En 2010, il a occupé la résidence « réflexion + écriture » du 3e Impérial, centre d’essai en art actuel de Granby. Diplômé en histoire de l’art de l’Université de Montréal, il est membre de l’Association québécoise des critiques de cinéma depuis 2004.