[Printemps/été 2013]
Ce numéro fait retour sur la question de l’art public, un sujet que nous avons déjà abordé dans nos numéros 82 et 90 notamment. Les œuvres retenues pour ce dossier se distinguent par l’acuité de la prise en charge de leur contexte d’insertion. Chacune de ces œuvres, à sa façon, apporte une réponse exemplaire aux enjeux de l’intervention artistique dans la ville. Elles incarnent de plus des modes de gestation fort différenciés : l’une naît en réponse à une commande, la seconde se fait le relais du graffiti urbain, la troisième s’ancre dans la communauté qui l’accueille.
En raison de sa nature même, le travail photographique s’inscrit dans la ville la plupart du temps sous le mode de l’affichage et sur des surfaces largement dominées par la publicité commerciale. Rien d’étonnant alors à ce que les interventions artistiques ne puissant advenir que sur un mode de collaboration avec les autorités et le marché publicitaire. Pour autant, l’enjeu demeure majeur : il s’agit de pouvoir inscrire dans la sphère publique urbaine, et sur le mode de la publicisation (littéralement : de la visibilité publique), des valeurs autres que celles de la consommation.
Dans les oeuvres réunies ici, le photographique prend par ailleurs des formes inusitées : en devenant sculpture-installation, en se faisant le relais d’interventions graffitistes ou en se métamorphosant en fresque narrative monumentale.
L’oeuvre sculpturale de Nicolas Baier retient ainsi du photographique les notions d’empreinte, de reflet et de désignation. Elle les met en oeuvre dans des surfaces et moulages d’objets qui renvoient entièrement à son contexte d’insertion. D’où ce titre énigmatique d’Autoportrait ; un autoportrait objectif en quelque sorte, au sens où l’oeuvre est une représentation exacerbée de ce par quoi la Place Ville-Marie se définit : soit le travail de bureau et la modernité architecturale. Avec son écrin de verre, son mobilier et ses appareils high-tech aux reflets démultipliés, l’oeuvre matérialise les valeurs fonctionnelles et symboliques du lieu et leur contemporanéité.
Les travaux de Dominique Auerbacher prennent pour objet d’autres pratiques, plus marginales, d’art sur la place publique : celles des graffitistes. Ces pratiques, l’artiste les capte sur les vitres des transports publics de Berlin, en révélant ainsi par transparence leur contexte d’inscription. Ce qui a pour mérite de se situer à l’exact opposé d’une simple transposition du graffiti en galerie. Et qui est aussi une forme de reconnaissance à l’opposé de celles qui voudraient voir ces pratiques circonscrites dans un espace urbain désigné par les autorités. Une façon de mettre en lumière les prescriptions qui définissent l’usage de l’espace public.
Nous revenons enfin sur les travaux de Dionne/Gingras dont la pratique d’art public repose sur un niveau d’engagement assez peu fréquent. Une pratique de l’image qui se fait l’instrument d’une affirmation communautaire, fondée sur le partage des savoirs et l’offre d’une expérience esthétique active. Il en résulte ici une grande fresque, faite de portraits individuels (presque des autoportraits), mettant en scène les personnalités, les engagements, les valeurs et les combats des habitants d’un quartier défavorisé. Ce portrait collectif présenté en format monumental sur la façade de la Maison de la culture du quartier, devient ainsi une véritable intervention dans la « sphère publique ».
Jacques Doyon