Fonderie Darling, Montréal
Du 17 octobre au 8 décembre 2013
Par Sonia Pelletier
C’est un heureux hasard que ces deux expositions aient été programmées en même temps à la Fonderie Darling, car elles cohabitent de belle manière tant dans leur propos que dans leur mise en espace. Elles s’intègrent harmonieusement dans ce lieu plongé dans l’obscurité et illuminé par leurs projections. Elles en soulignent le potentiel d’accueil et en rehaussent l’architecture. Cette mise à profit du caractère de l’édifice s’accompagne d’une autre surprise de la part des photographes, qui ont tous deux relevé avec succès un nouveau défi : pour l’une, l’intégration de la vidéo et, pour l’autre, l’expérimentation avec le film d’animation, en plus d’une dimension davantage installative.
Dans la grande salle, le commissaire Sylvain Campeau propose une exposition du travail de Jocelyne Alloucherie, Dédale, qui présente une suite de photographies en noir et blanc issues de la série antérieure Occidents (2006) avec, en primeur, trois projections vidéo. Les huit photographies sont montées conformément à la hauteur des murs de la galerie, sous les fenêtres bouchées pour l’occasion par de grands rideaux noirs laissant passer de minces faisceaux lumineux. Selon l’esthétique à laquelle nous a habitués l’artiste, des éléments architectoniques blancs occupent l’espace devant l’ensemble des images comme autant de piliers et d’ouvertures qui encadrent notre regard. Ces dispositifs de perception viennent redoubler et accentuer le contenu des photographies. Pareils à des falaises qui se font face, les grands formats oblongs révèlent des paysages urbains. Ainsi contrastées, les silhouettes découpées selon la partie postérieure d’édifices se montrent comme des ombres dont le vide central n’est pas sans rappeler certains des tests de Rorschach.
Tout juste à côté, nous sommes vite happés par les vidéos, qui nous font entendre la nature. Trois projections vidéo dont le format rectangulaire fait écho à celui des photographies présentent respectivement trois vues de ruelles. Des plans fixes d’une très grande lenteur permettent d’apprécier la dimension sonore de ces environnements, hypnotique et envoûtante, remplie du son des oiseaux, du bruissement des feuilles d’arbres et de quelques murmures humains. Je me prends à penser aux récentes œuvres de Pierre Blache, de Chih-Chen Wang1 ou aux Résonances de l’image de Donatella Landi, présentée à la Galerie de l’UQAM (2013). Comme le mentionne judicieusement le commissaire dans un texte de présentation de cette exposition, la dimension sonore dans l’œuvre d’Alloucherie a été traitée comme une matière sculpturale : « Elle [l’artiste] a travaillé les tonalités, les ombres, la bande sonore, cherchant un effet esthétique qui dénaturalise la ruelle réelle sans toutefois la trahir. Ce faisant, elle cherche à montrer combien nous habitons des formes qui ne sont pas que des tanières, grouillantes de vie… mais qui le sont aussi. Au plan formel, elles offrent un condensé des masses et formes qu’elle s’est plu, tout au long de sa carrière, à agencer. »
Yann Pocreau nous surprend aussi avec Projections, titre qu’on interprétera facilement au sens littéral comme figuré, dans la mesure où, cette fois-ci, il a choisi de ne pas se représenter lui-même dans l’image. S’inspirant de l’architecture gothique qu’il articule par la présence de la lumière, Pocreau a conçu deux pièces imprégnées d’un certain mysticisme. En entrant dans la galerie, le spectateur tombe immédiatement sur un film d’animation 16 mm montrant tour à tour des boules de lumière ressemblant étrangement à des rosaces, mais aussi à des sortes de météorites en mouvement. Ces images proviennent en fait de cartes postales d’églises gothiques collectionnées par l’artiste. En reproduisant et en agrandissant démesurément la rosace de la Sainte-Chapelle de Paris, qu’il a minutieusement grattée plusieurs fois sur la pellicule, il a obtenu en guise de résultat ces formes matérialisées par la lumière artificielle du projecteur. Une expérience qui, selon ses dires, pourrait être annonciatrice de sa production à venir. De même, dans l’autre salle, contrairement à son travail antérieur où la source d’éclairage provenait d’une lumière naturelle, une pièce installative révèle une image architecturale remplie d’arches de cathédrales sur un mur de brique laissant passer par des orifices la lumière et la poussière. On peut même y sentir une chaleur. L’effet est réussi. On se croirait dans une église. Les trouées rappellent l’intervention de l’artiste, mais on ne saurait dire s’il s’agit d’une démolition ou d’une construction en cours.
À plusieurs égards, les aventures dans lesquelles se sont engagés Alloucherie et Pocreau auront permis aux spectateurs de voir l’une des expositions les plus réussies de l’année. Un beau rendez-vous intergénérationnel montrant de façons différentes que l’image est une construction et comment métamorphoser un lieu avec de la noirceur et de la lumière dans la similitude et la coïncidence.
Sonia Pelletier est coordonnatrice à l’édition de la revue Ciel variable.