Par Alexis Desgagnés
Theatre of the Documentary
In republishing Donigan Cumming’s mythic The Stage, Errata Editions adds a nineteenth work to its Books on Books collection, which is intended to make photography books that are rare, or impossible to find, or madly expensive, available. Rather than offering strictly faithful second editions of the selected books, these “books on books” reproduce, as facsimiles, digitized pages from the original editions. Cumming’s book joins a list of prestigious titles, including William Klein’s Life is Good & Good for You in New York, Paul Graham’s Beyond Caring, and Martin Parr’s Bad Weather. As Robert Enright suggests in the enlightening postface to this new edition, Cumming’s photographic practice, through which he strives to build a theatre that gathers majestic cripples to act out his world and ours, virulently contests the realistic pretentions of documentary style. Thanks to Cumming, this world now shines in a leading collection of photography books.
Donigan Cumming, The Stage, New York, Errata Editions, 2014, 132 pp., Eng.
Esthétiques relationnelles
Les Éditions du renard font paraître deux ouvrages déclinant le thème de la relation. Elles collectionnent des mondes égrène, page après page, les cinquante-deux semaines d’une correspondance photopoétique entre deux artistes ayant lié amitié au cours de leurs études à Montréal. Séparées par un échange étudiant effectué en France par l’une d’entre elles, Catherine Tremblay et Véronique Béland tirèrent prétexte de la distance pour s’échanger, une année durant, des photographies extraites de leur quotidien respectif, ensuite rephotographiées par la destinataire dans son propre cadre de vie. Fruit d’un métissage visuel des réalités québécoise et française, chaque image est accompagnée d’un commentaire évocateur. Conçu sur un mode ludique, ce projet témoigne d’une complicité palpable, s’enracinant dans la profondeur fertile des jeux de l’amitié. L’ouvrage Walter & Willow envisage, quant à lui, la relation sous le signe d’un amour, réfracté par les archives photographiques personnelles du couple éponyme. Petite-nièce des protagonistes, Leggett a puisé dans ce trésor de diapositives un corpus traduisant un pan de la vision du monde de ces photographes. La profondeur poétique des images sélectionnées, vraisemblablement des photographies de voyage, est rétroéclairée par un texte d’Anne-Marie Proulx, qui met en mots les quiétudes et inquiétudes d’un amour transitant de paysage en paysage.
Catherine Tremblay et Véronique Béland, Elles collectionnent des mondes, Montréal, Les Éditions du renard, 2014, 116 p., fr. ; Aislinn Leggett, Walter & Willow, Montréal, Les Éditions du renard, 2014, 88 p., fr.
Canada’s Alcatraz
This expression alone, suggesting the historical importance of the Kingston Penitentiary, is enough to bring to mind the main elements of the imaginary of incarceration. Surveillance, punishment, solitude, confinement, discipline, crime, and violence are central to the photographs that James took of the legendary institution, which closed in 2013 after being in operation for 178 years. More than just a guided tour of the prison’s infrastructure, Inside Kingston Penitentiary is a valuable document that reveals, above all, the subconscious of those who were detained there. Painted above a cell’s window frame or engraved in its cement floor is an immense cry, imprisoned in a space measuring 2.3 square metres, that resonates on every wall photographed by the artist. James’s book will naturally find a place in the libraries of readers who want to understand something about the violence for which prisons are institutional metaphors.
Geoffrey James, Inside Kingston Penitentiary (1835–2013), London, U.K., Black Dog Publishing, 2014, 192 pp., Eng.
Pratiques en théorie
La collection Negative témoigne d’une collaboration développée au cours des dernières années entre la Fondation Hasselblad et l’Université de Göteborg. Fruits de symposiums de recherche ayant mobilisé des intervenants provenant de tous les horizons du paysage photographique, trois volumes ont été publiés à ce jour, qui abordent autant de thèmes et d’enjeux importants de la production photographique contemporaine. Ainsi que son sous-titre l’indique, Auto aborde différentes implications de l’auto-représentation dans le contexte de l’essor récent des technologies numériques. L’ouvrage Imprint est, quant à lui, consacré à certains enjeux de l’édition photographique, notamment d’ordres narratif et phénoménologique. Enfin, Broken s’intéresse à certaines déclinaisons historiques et théoriques du thème de l’environnement en photographie. Abondamment illustrés, les trois ouvrages font dialoguer des corpus photographiques connus et moins connus.
Hans Hedberg et al., Auto: Self-Representation and Digital Photography ; Imprint: Visual Narratives in Books and Beyond ; Broken: Environmental Photography, Stockholm, Art and Theory Publishing, 2014, 3 vol., angl. et suédois.
Capharnaüm
L’imposant Psychobuch témoigne de la création bric-à-brac que l’artiste multimédia suisse Beni Bischof a produite depuis la première parution du fanzine auto-édité Lasermagazin en 2005. Sculpteur, peintre, dessinateur et photographe, Bischof met en forme un univers où chaque médium est noyé dans le vomissement baroque d’une iconographie hétéroclite. De la documentation d’exposition au collage et au photomontage, en passant par la reproduction d’œuvres picturales, sculpturales et graphiques, Psychobuch est l’inventaire chaotique des champs d’action d’un artiste avalant tout ce qui tombe sous la dent de son appétit boulimique, notamment la photographie : voitures volantes pilotées par des culturistes, mannequins au faciès de saucisses, photos grattées, déchirées, maquillées. Bischof met le lecteur au défi de remettre en question sa conception du médium, défi lancé avec brio, comme doigt d’honneur dans l’entrebâillement d’une porte.
Beni Bischof, Psychobuch, Zurich, Edition Patrick Frey, 2014, 600 p., allem.
Alexis Desgagnés est rédacteur adjoint au magazine Ciel variable.