Susan MacWilliam, Remote Viewing – Pierre Rannou

[Hiver 2011]

Susan MacWilliam
Remote Viewing
Karen Downey (dir.) Londres, Black Dog Publishing, 2008

Depuis la fin des années 1990, Susan MacWilliam utilise la photographie, la vidéo et l’installation pour explorer différents modes de représentation utilisés dans le champ des recherches spirites et paranormales des XIXe et XXe siècles. Au fil de sa production, elle a eu recours à différentes stratégies, souvent de types documentaires, pour interroger et mettre en valeur les archives qu’elle utilisait. Oscillant entre une approche objective et l’affirmation d’une subjectivité assumée, l’artiste y tient parfois le rôle du chercheur, alors qu’à d’autres moments elle opte plutôt pour celui du médium. Considérant la variété de ses recherches, on peut donc s’étonner de ne pas l’avoir retrouvée dans les grandes expositions internationales des dernières années construites autour des thèmes du paranormal et de la photographie spirite contemporaine telles The Disembodied Spirit (2003), Blur of the Otherwordly. Contemporary Art, Technology, and the Paranormal (2005), Phantasmagoria. Specters of Absence (2007) ou encore Haunted. Contemporary photography / Video / Performance (2010). Ce catalogue, qui accompagnait l’exposition présentée dans le cadre de la cinquante-troisième Biennale de Venise en 2009, est présenté, en introduction, comme un effort concerté du Arts Council of Northern Ireland et du British Council Northern Ireland pour permettre à cette artiste de la relève de recevoir l’attention critique et promotionnelle qu’elle mérite et de s’insérer sur la scène internationale.

On peut d’emblée affirmer que les moyens mis en place pour favoriser cette reconnaissance sont excellents. L’appareil critique permettant de prendre la mesure du développement de la carrière de l’artiste est de qualité et permet de s’y retrouver aisément. À cet égard, soulignons la présence, en fin d’ouvrage, d’une liste des œuvres, que l’on a eu la bonne idée d’agrémenter d’une petite reproduction en vignette et d’un court texte descriptif fort utile. La présentation graphique de l’ouvrage, d’une grande sobriété, est d’une belle tenue. Le matériel iconographique, qui entremêle habilement images anciennes et œuvres de l’artiste, témoigne d’une grande richesse.

Si à la lecture de la table des matières, on pourrait croire que l’ouvrage est construit autour de trois œuvres importantes de l’artiste : F-L-A-M-M-A-R-I-O-N (2009), Eillen (2008), Dermo optics (2006), il n’en est pourtant rien. Certes, on retrouve bel et bien des segments visuels riches pour chacune de ces trois œuvres, mais les textes, sur lesquels nous reviendrons plus loin, ne participent pas à une telle construction. Les différentes parties consacrées aux réalisations de l’artiste se présentent sous la forme de portfolios documentaires. Outre les reproductions des œuvres, on y retrouve des textes de différentes natures. Par exemple pour F-L-A-M-M-A-R-I-O-N, il y a deux doubles pages de texte, une première où Ciaran Carson relate son expérience comme participante et une seconde où sont reproduits de courts extraits de l’ouvrage Phantasmagoria de Marina Warner. Malheureusement, on a choisi de ne pas indiquer qui a fait ces choix, ni de préciser le type de relation que l’artiste a pu entretenir avec ce texte, ce qui aurait pu être fort utile au lecteur. Par contre, pour la section consacrée à Eillen, la transcription des dialogues de la bande vidéo est très pertinente, car les images ne peuvent rendre compte à elles seules de la nature de l’œuvre. Il faut néanmoins déplorer que certaines de ces images laissent percevoir l’entrelacement des lignes propre au médium vidéographique, ce qui en diminue l’attrait.

Outre l’introduction rédigée par la commissaire de l’exposition Karen Downey, le catalogue contient quatre textes. Dans le premier, Brian Dillon situe la pratique de l’artiste au regard des activités spirites et des recherches parapsychologiques des XIXe et XXe siècles, afin de mettre en lumière les multiples liens qu’elle entretient avec celle de ses prédécesseurs. Pour lui, le travail de l’artiste ne relèverait ni d’une archéologie du monde des recherches parapsychiques, ni d’une lecture métaphorique, mais d’une approche personnelle et intime axée sur une collaboration avec des chercheurs contemporains ou des descendants des premiers chercheurs à s’être penchés sur ces questions. Il indique aussi qu’en alternant les rôles de sujet d’étude et de chercheuse, l’artiste parviendrait à mettre en question les rôles dévolus à chacun des sexes dans le dispositif habituel, alors que le chercheur est généralement un homme et le sujet d’étude, une femme. Pour sa part, Ciaran Carson se concentre sur Library, une œuvre vidéo de 2008 qu’elle décrit méticuleusement. À partir de sa propre expérience de réception de celle-ci, l’auteur tisse des liens fortement subjectifs avec des éléments de l’histoire de la recherche parapsychique ou encore d’autres œuvres de l’artiste. Bien que certains passages soient fort intéressants, la section consacrée aux ressemblances perçues entre la réalisation de MacWilliam et La Jetée de Chris Marker montre bien la limite d’une telle approche par trop intuitive.

En déplaçant la réception de l’œuvre du modèle iconographique à celui de la construction épistémologique, Slavka Sverakova permet de renouveler l’approche habituellement utilisée pour rendre compte de ce type de travail. Selon elle, les réalisations de MacWilliam laissent percevoir l’écart qui sépare les recherches universitaires des recherches artistiques, en délaissant les connaissances en soi pour favoriser l’étude de l’acquisition de ces connaissances. Ainsi, loin d’être une simple forme de contre-vérification d’une expérience ancienne, la production de l’artiste serait l’occasion d’observer certains gestes et de comprendre ce qu’ils révèlent, dans une optique similaire aux recherches menées dans différentes universités sur le rôle des gestes en rapport avec le langage, la pensée et la mémoire. Reconstituant une partie du parcours de l’artiste depuis ses premières œuvres, Martha Langford y perçoit une grande cohérence. Tout en soulignant la justesse des stratégies utilisées, qu’elle analyse finement, l’auteur montre la rigueur de la démarche et la qualité des réalisations de MacWilliam. Si, pour elle aussi, l’œuvre trouve toute sa pertinence dans son apport à la construction des connaissances, elle se distingue véritablement par son articulation singulière des éléments de la quotidienneté et du merveilleux permettant de communiquer le mystère de la vie fantastique vécue. Il faut maintenant espérer que la magie opère et que la diffusion de cet ouvrage aux approches variées permette la reconnaissance tant attendue du travail de l’artiste.

Pierre Rannou est historien de l’art, critique et commissaire d’exposition. Il enseigne au département de cinéma et communication et au département d’histoire de l’art du collège Édouard-Montpetit.

 
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