Magasin Général – Studio international en création multidisciplinaire
Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine
Du 8 juillet au 5 août 2016
Par Sylvain Campeau
L’année dernière, c’était en quelque sorte la pré-ouverture de ce studio en création multidisplinaire. Evelyne Leblanc-Roberge y avait présenté son travail photographique et vidéographique dans une exposition intitulée Tactiques de camouflage, qui mobilisait activement, le soir venu, la devanture et les fenêtres de cet ancien magasin général datant du XIXe siècle. Mais les fondateurs du studio, Louis Couturier et Jacky Georges Lafargue, comptaient bien inviter d’autres artistes à produire des œuvres chez eux.
Cette année, le mandat de sélectionner des artistes en suivant les paramètres d’une thématique qui lui paraîtrait féconde a été confié au commissaire indépendant et directeur de la revue Espace André-Louis Paré. Il a ainsi réuni des oeuvres des artistes Sébastien Cliche, Isabelle Hayeur et Emmanuelle Léonard dans une exposition intitulée Mutations qui, en plus de solliciter à nouveau la façade du bâtiment, offre une programmation d’oeuvres vidéographiques projetées dans un cinéma extérieur sur le terrain faisant face au Magasin.
Le plus visible, en arrivant au studio, c’est évidemment la grande oeuvre photographique sur bâche qui orne le devant du magasin. Il s’agit d’une des oeuvres de la série Underworlds d’Isabelle Hayeur. Remous (2016) est une des rares images de cet ensemble à montrer une présence humaine en la personne d’une adepte de planche à rame (paddleboard), floue, à genoux sur son embarcation. La photo a été prise à moitié dans l’eau, d’où les grosses bulles d’oxygène qui montent à la surface au premier plan. S’ajoute à cette image une présentation des vidéos Solastalgia, Flow, Hybris et Private Views, toutes des oeuvres qui illustrent et documentent les changements auxquels notre environnement immédiat, fût-il naturel ou bâti, est de plus en plus soumis.
Les œuvres d’Emmanuelle Léonard sont plus à l’affût des changements et de la succession des générations. Suivant la pratique qu’on lui connaît, qui s’inspire du documentaire, mais qui joue parfois de façon incongrue sur les principes de sélection des images comme si elle pointait vers autre chose que ce qui est dit et que ce qui semble faire l’objet de l’étude filmique, Emmanuelle Léonard saisit les gens dans leur environnement familier et les interroge subtilement, sans façons, mais efficacement et non sans laisser place à des silences qu’une pratique documentaire traditionnelle considéreraient comme perturbateurs. Avec les pièces La taverne, Postcard from Bexhill-on-Sea – où elle interroge des retraités assez âgés sur leur perception du futur –, La providence – où des religieuses bousculées dans leur quotidien manifestent confiance, humour et foi devant les vicissitudes du présent et les bouleversement de l’avenir –, l’artiste est sûre de toucher une corde sensible, dans ce coin de pays qui voit malheureusement trop souvent partir ses jeunes.
Sébastien Cliche présente, quant à lui, Le ruban, une pièce réalisée en partie sur place et qui s’inspire de ce que son séjour en ces terres lui a suggéré. Il s’agit d’une projection au fond de la remorque d’un camion. Choix judicieux puisque l’histoire relatée est justement celle de deux personnages pris d’une irrépressible envie de s’aventurer sur la route et qui rencontrent des camions qu’ils vont suivre. Ce ruban peut être celui de la route 132, qui fait le tour de la Gaspésie et dont les habitants et les visiteurs reconnaîtront l’emprise sur la vie de la région. La bande vidéo est composée de variantes d’une durée de 5 minutes 30 secondes, chacune s’ouvrant sur une courte introduction dont je donne ici quelques exemples : « Dans cette histoire, quelque chose qui est caché ne sera pas révélé », « Dans cette histoire, le monde qui est là, devant nous, n’est pas assemblé », « Dans cette histoire, vous cherchez une façon de recommencer votre vie, mais qui ne dérangera personne ». Lorsque l’histoire reprend, elle est légèrement différente, puisant dans ses cycles alternatifs. Ainsi présentée, elle nous livre ses clefs, le principe de construction que son auteur a établi. L’image est parfois double ; une seconde image, épousant la forme carrée de la surface de projection, mais de plus petite taille, apparaît au centre de la première image. On y voit aussi les personnages au travail, à l’ordinateur et au ruban magnétique, en train de créer l’œuvre qui se déploie sous nos yeux, là, maintenant.
Il faudra compter, au cours des prochaines années, avec ce nouvel acteur qu’est le Magasin général, dont l’initiative est en parfaite conformité avec l’approche même que les artistes Louis Couturier et Jacky Lafargue ont toujours respectée dans leur travail artistique : celle d’un art en phase avec sa communauté. Pour cette première exposition de groupe, cadre enchanteur et œuvres de qualité ont été au rendez‑vous pour créer un précédent.
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.
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