Mathieu Asselin, Monsanto – Louis Perreault

[Printemps-été 2018]

Monsanto, une enquête photographique
Paris, Actes Sud, 2017, 147 pages

Par Louis Perreault

Monsanto, une enquête photographique, de Mathieu Asselin, apparaît comme un projet essentiel et nécessaire. L’engagement de l’artiste fait de son travail une manifestation artistique autant qu’un acte politique. Si l’oeuvre d’Asselin peut aisément se prêter à différents modes de présentation1, la forme du livre permet de comprendre l’ampleur du projet de recherche qui supporte les photographies. Lauréat, en 2017, du Prix du premier livre photographique, décerné lors des Paris Photo – Aperture Foundation Photobook Awards, le livre a reçu une attention médiatique importante. Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’oeuvre d’Asselin touche, chez le spectateur et dans la population en général, une inquiétude grandissante face à la mainmise des puissantes multinationales sur nos vies. Difficile, donc, de s’opposer au point de vue de Mathieu Asselin ; on entamera la lecture du livre d’ores et déjà convaincu d’entendre enfin une voix s’élever devant le mal, personnifié ici par la grande entreprise créée en 1901.

Protéiforme, l’œuvre qui nous est présentée dans ce livre répond efficacement au pouvoir tentaculaire de Monsanto sur l’industrie agroalimentaire. Ainsi, Asselin tisse une toile finement composée où s’entremêlent et se complètent les fils du passé et du présent. Des campagnes publicitaires aux documents d’archives, jusqu’aux portraits et paysages captés dans les lieux les plus touchés par les frasques environnementales de la compagnie, les couches d’information renforcent, chacune à leur façon, l’argumentaire et condamnent la multinationale. C’est donc le résultat d’une véritable enquête qui est offert au lecteur, et l’accusation d’Asselin s’appuie autant sur la force d’évocation des documents et des photographies que sur l’information qu’ils apportent. Par exemple, au troisième chapitre, des pages de journaux où se retrouvent des articles à propos des procès liés à Monsanto sont agrandies, au point d’occuper tout l’espace des doubles pages. S’il est vrai qu’elles influencent la lecture en ponctuant une séquence photographique, elles servent davantage à mettre en relief l’importance des événements qu’à les expliquer.

Les photographies, tantôt percutantes et pénibles à regarder (particulièrement dans le cas des portraits montrant les victimes de malformations génétiques), tantôt calmes et délibérément posées, se succèdent dans les quatre chapitres du livre abordant chacun une facette de l’histoire trouble de Monsanto. On se retrouve tout d’abord à Anniston, en Alabama, lieu hautement contaminé par la production de PCB (polychlorobiphényles), pour y saisir l’importance de la trace écologique que laisse derrière elle la compagnie. On voyage ensuite des États-Unis jusqu’au Viêtnam pour être les témoins des effets dévastateurs de l’Agent orange, substance hautement toxique utilisée notamment lors des missions de pulvérisation pendant la guerre du Viêtnam. Dans le troisième chapitre, on poursuit vers la ville de Sauget, en Illinois, surnommée Monsanto City, pour y comprendre tout le pouvoir que détiennent les multinationales lorsqu’il s’agit d’établir les règles environnementales locales. Tout cela culmine au dernier chapitre par la démonstration de l’emprise de Monsanto sur l’industrie agroalimentaire actuelle et, plus particulièrement, sur la vente et la culture des semences de maïs génétiquement modifiées et brevetées par Monsanto.

Le livre s’achève sur une séquence particulièrement efficace de doubles pages où une photographie prise en studio d’un objet promotionnel de Monsanto est juxtaposée à l’un des différents slogans ayant marqué les campagnes publicitaires de la compagnie. Les huit doubles pages assènent un dernier coup plutôt brutal, dissipant tout doute pouvant encore persister chez le lecteur et dévoilant du même coup l’hypocrisie du discours publicitaire, toujours avide de formules chocs, que même le mensonge ne réussit pas à faire rougir.

En terminant, il est nécessaire de souligner quelques choix de mise en forme plutôt efficaces qui permettent au livre d’arriver à ses fins. Tout d’abord, la composition de la couverture fait écho au dossier d’enquête et offre rapidement un indice quant à la teneur de l’ouvrage. Le choix du papier mat, non couché, tempère les images autrement sensationnelles et agit telle une marque de déférence envers les victimes de ce drame, incarnées dans tous les portraits saisissants qu’a réalisés Mathieu Asselin. L’utilisation de documents historiques, se détachant parfois des pages du livre en tant qu’objets indépendants (le contrat type de Monsanto est consultable, comme s’il avait été ajouté au livre après sa production), matérialise le concept d’enquête, en agissant comme des pièces à conviction présentées au jury.

Finalement, la démarcation claire des chapitres par une bande orangée structure adéquatement un projet qui, bien que produit de manière sensible, trouve son originalité dans la relation qu’entretiennent les données empiriques et la subjectivité inhérente à toute intention artistique. Ainsi, le livre de Mathieu Asselin incarne le potentiel qui est aujourd’hui offert aux artistes dans la fabrication de leurs livres. Il exploite, autant sur le plan matériel que conceptuel, des stratégies de plus en plus répandues permettant aux ouvrages d’aspirer au statut d’œuvre d’art à part entière, forme d’expression par excellence de la photographie du XXIe siècle.

1 Monsanto, une enquête photographique fut, entre autres, présenté aux Rencontres de la Photographie d’Arles, à l’été 2017.

 

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 109 - REVISITER ] 
[ Article individuel, en numérique, disponible ici : Mathieu Asselin, Monsanto - Louis Perreault ]