Louis Couturier et Jacky Georges Lafargue, Asbestos Storm – Line Dezainde

[Automne 2014]

Sporobole, centre en art actuel, Sherbrooke
Du 13 mars au 27 avril 2014

 
Par Line Dezainde

Avec l’installation Asbestos Storm, le duo artistique composé de Louis Couturier et Jacky Georges Lafargue poursuit son exploration de territoires hors normes et aux caractéristiques physiques distinctives. Comme le titre l’indique, les artistes se sont penchés sur l’industrie de l’amiante dans la ville d’Asbestos, plus précisément la mine Jeffrey, la plus grande mine à ciel ouvert au monde, qui fut en opération pendant une centaine d’années. Le mot amiante, d’origine grecque, signifie « incorruptible » et suggère l’ininflammabilité du matériau, et c’est cette caractéristique qui propulsera sa popularité, jusqu’à la découverte de ses méfaits sur la santé des travailleurs.

Chez Sporobole, Couturier et Lafargue offrent au public un retour sur leur séjour à la mine Jeffrey et le résultat des recherches de nature archivistique subséquemment effectuées. Tout d’abord, en pénétrant dans la galerie, le visiteur découvre, trônant au centre de la pièce, un abri pour voitures « Tempo » renfermant une vidéo projetée en boucle. Celle­ci donne à voir le paysage de la mine sur lequel a été superposé une simulation de tempête de neige créée à partir de minuscules particules de styromousse. On y entend le maire de la ville affirmer, en conférence de presse : « La ville d’Asbestos est maintenant orientée vers le futur », à la suite de l’annonce de l’obtention d’une subvention du gouvernement provincial visant la relance de l’industrie.

Faisant écho à la vidéo, des pelles sont accrochées au mur et recouvertes de cartons publicitaires sur lesquels est écrit que l’amiante est « pure white ». De fait, les légers filaments blancs ont été abondamment utilisés pour simuler la neige sous les sapins de Noël. Dans le même esprit, un diaporama composé d’images publicitaires vantant les vertus de l’amiante nous rappelle, entre autres, que les employés des entreprises logées au World Trade Center avaient mis deux heures pour effectuer un exercice d’évacuation et qu’en conséquence tous les nouveaux édifices devraient être isolés avec de l’ininflammable amiante.

Enfin, tout au fond de la galerie, cinq photographies documentent le séjour de quatre jours effectué par les artistes dans le puits minier. On y découvre un lac aux eaux très calmes et d’un bleu azur typique des mers du Sud, coloration produite par la serpentine, un minéral présent dans la mine. Ce lac aux allures surréalistes est entouré de parois rocheuses fortement escarpées faisant spontanément penser aux façades taillées des temples mayas, opposant ainsi la majesté des lieux à la dégradation de l’environnement naturel.

« La beauté de la destruction », titre d’une série d’œuvres réalisées à Murdochville en 2013 et 2014, reflète bien la posture des artistes à l’égard de ces paysages industriels plus grands que nature et symbolisant non seulement un secteur d’activité, mais également un rhizome social et humain qui a su s’adapter aux différentes phases de l’exploitation. Ainsi, la démarche des artistes consiste à arpenter un territoire, mais également à sonder l’opinion des habitants de la région afin de mieux saisir les enjeux sociaux et politiques auxquels ils ont été confrontés. Ces rencontres revêtent une grande importance dans le processus de découverte et d’appropriation des lieux et c’est la frontière entre ces deux pôles qui porte tout le sens de l’œuvre. Par exemple, à Asbestos, ce sont les dirigeants et les travailleurs qui ont installé la roulotte au fond de la mine pour faciliter l’expérience immersive des artistes qui ont pu alors observer, documenter et explorer les deux kilomètres de superficie de la mine, une démarche déambulatoire dans un territoire autrement difficile, voire impossible d’accès sans cette précieuse collaboration.

Il est à noter que l’installation ne met pas l’accent sur les retombées positives ou négatives de cette exploitation, mais pose plutôt un regard ouvert et impartial sur le paysage et les expériences vécues par les habitants de la ville. Au final, que l’on soit pour ou contre cette industrie, la mine, avec son gigantesque trou béant et abandonné, constitue un objet patrimonial symbolisant les choix d’une société qui était en pleine effervescence et qui croyait fermement aux promesses de son produit. Les images et la mise en espace de cette installation témoignent d’un regard critique, certes, mais aussi respectueux sur un projet industriel qui a laissé, au propre comme au figuré, une profonde cicatrice dans la région estrienne.

Line Dezainde est artiste des arts numériques et a collaboré à plusieurs revues et publications canadiennes. Elle poursuit actuellement des études doctorales en sémiologie et a été récemment nommée directrice artistique de Sporobole.

Acheter cet article