[Printemps-été 2017]
brise glace soleil blanc
Galerie Antoine Ertaskiran
Du 9 novembre au 23 décembre 2016
Par Sylvain Campeau
C’est une histoire d’habitation et d’érosion que semble nous raconter Jacynthe Carrier avec ce nouvel ensemble d’œuvres.
Peut-on parler de performance mise en scène et filmée ? Ou faudrait-il plutôt aller du côté du théâtre pour saisir ce que son esthétisme a de particulier ? Il est certain que les œuvres de l’artiste se produisent au carrefour de ces médiums alors que même les images figées de la photographie et celles mobiles offertes en vidéo entrent en relation et maintiennent une sorte de tension. Mais il y a surtout que les histoires que veut nous conter Jacynthe Carrier ne peuvent apparaître entières et complètes sans ce recours à une production actantielle chorégraphiée et à une construction narrative fondée sur les possibilités techniques qu’offrent la vidéo et la photographie. Résultant d’une mise en place autant qu’en scène, brise glace soleil blanc apparaît tel grâce à une scénarisation qui repose sur des choix d’angles, des prises de vue dont l’artiste a peut-être déjà décidé de la teneur avant même que le tournage ne débute. Qu’il en soit ainsi ou non, n’en demeure pas moins que les actions entreprises par les protagonistes et les images qui en sont prises travaillent de concert à créer cette histoire que nous sommes invités à reconstituer.
Mais ce qui frappe encore plus que ces références obligées et inévitables parce que son oeuvre s’y alimente, c’est encore le fait que, du tout, de cette manière bien à elle de faire histoire, il se dégage des accents existentiels. Dans le travail des gestes demandés aux acteurs, chorégraphiés, des angles de prises de vue, de par l’environnement constitué et le cadre choisi, une histoire se déploie, qui prend des accents épiques et métaphysiques.
Sur une berge rocailleuse, avancée d’une terre qu’on imagine plus aride à l’arrière, des personnages affrontent les flots des marées pour un travail dont on ne sait trop s’il est d’effritement, de frictions, de chevauchements des roches riveraines ou de constructions d’embâcles d’origine humaine. Les personnages sont-ils en train d’éroder ou d’enrocher les berges ? On ne sait trop l’enjeu d’une pareille confrontation, mais cela semble relever de la nécessité la plus grande. Immergés à mi-corps parfois, les protagonistes soulèvent des pierres, déplacent du varech, se salissent de sable et d’algues pour accomplir on ne sait quelle tâche. Cela paraît devoir répondre à un effort d’habitation, de survie. Comme si devait bien se construire, de là, en quelque lieu à proximité, une sorte d’habitation. Il est clair qu’il y a péril, que les gestes exécutés le sont au nom d’un travail de subsistance, acharnés dans une résistance. On s’imagine, peut-être parce que notre histoire recèle de tels exemples, des gens abandonnés depuis quelque navire, mutins ou criminels, sur une terre de Caïn. On pense à une existence hasardeuse, à un labeur désespérant, à des constructions bancales, abri permettant de braver les éléments. Sachant aussi ce que l’on sait aujourd’hui1, on se demande si ces actions ne sont pas une allusion au phénomène d’érosion des rives de la Côte-Nord et de la Gaspésie, en butte à des marées plus fortes et plus violentes.
En fait, on en est réduit à l’imagination, car le cadre serré qui limite notre vision au plus près des personnages, à leur horizon de gestes et de mouvements, ne nous permet pas plus.
Mais cette histoire que nous nous inventons devant ce qui nous est montré se trouve un rien invalidée ou nourrie, on ne sait trop, par d’autres vues qui nous suggèrent les murs blancs d’une habitation. Celle-ci est très incomplète. Elle semble de carton-pâte, une maquette indécise, quelque chose comme un squat en pleine nature, un abri monté avec des restes de plaques de plâtre et dont les cloisons tiennent ensemble de peine et de misère. En fait, cette construction tient de l’habitation et du parapet. Son existence semble également assez précaire puisque des images nous la montrent trouée, ébréchée, perforée même par la tête d’un actant qui semble s’être pris pour une autruche !
brise glace soleil blanc est donc en quelque sorte un nouvel opus venant s’ajouter à l’entreprise de Jacynthe Carrier, montrant à nouveau une communauté affairée. Comme si le travail nécessaire à la constitution de l’oeuvre était aussi l’occasion de montrer une humanité cherchant un sens à son existence par des actions plutôt usitées, mais transcendées en manoeuvres esthétiques.
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.