[Été 2007]
Galerie Occurrence, Montréal
du 20 janvier au 3 mars 2007
Michel Lamothe nous présente deux séries à la galerie Occurrence. La première s’intitule Paysages des quotidiens; elle se compose de 22 images de 61 sur 76 cm et court tout le long des murs de la salle. La seconde occupe les deux faces d’un mur au centre et montre 28 images de plus petite taille se découpant au milieu d’un papier photographique de 28 sur 36 cm. Bien que toutes deux soient en noir et blanc, une seule est de nature totalement photographique, car les images de la deuxième série sont en fait des photogrammes. L’image, agrémentée de marges blanches assez larges, occupe le centre du papier. La première série a été produite à l’aide d’une camera obscura, c’est-à-dire au moyen d’un appareil de photographie rudimentaire, fait souvent d’une simple boîte et n’ayant qu’un trou grossier pour toute lentille. Les images qui en résultent ont donc une facture bien particulière. Une facture qu’en ces temps du tout-au-numérique, il fait bon voir et revoir, et qui nous ramène aux fondements originaux de la photographie.
Cette question de la différence de nature et de fini entre photo numérique et photo analogique, si elle n’est pas abordée directement dans cette exposition, est perceptible par la bande. Car, en effet, les images occupant le mur central, plus petites et même un peu jaunies, sont le résultat de processus liés à la photographie analogique. Elles sont constituées de gélatine d’argent, reposant sur un papier photosensibilisé. Celles qui font le tour de la salle et qui proviennent, rappelons-le, de la camera obscura, sont des tirages à jet d’encre. Il ressort de tout cela que la différence de rendu est perceptible et que le fait de montrer de concert des images produites de façon si différente crée une étrange impression.
La matière photographique est en effet tout ce qu’il y a d’évident dans la première série. Les images semblent résulter d’une saturation de sels d’argent sur le négatif. Elles ont en plus cette facture spéciale que leur confère le fait d’être le résultat d’une exposition prolongée. Tout en elles sent le temps suspendu, l’arrêt sur image, l’arrêt pour l’image. Un léger tremblé, un certain flou, l’espèce de vapeur d’un geste saccadé, la vibration d’une respiration, la trépidation du temps retenu dans l’impatience d’un enfant : les signes sont nombreux pour marquer ce qui semble à la fois arraisonnement et déferlement du temps. C’est un enfant assis sur le sable et observant les vagues dans Maya; un frêle esquif échoué sur une grève de rochers dans Le radeau; une femme regardant au loin, les pieds dans l’eau dans Phyllis. Plage dorée. Toutes ces photos semblent vieillies, en provenance d’un ancien album de vacances du siècle dernier. Mais on sait qu’il n’en est rien. À cela s’ajoute quelque chose, dans certaines, d’infiniment grec. Comme dans ce village d’habitations rocailleuses s’échelonnant sur une petite montagne. Ou encore ces paysages de collines pierreuses où broutent parfois des chèvres. Qu’on ne s’y trompe pas; ces images sont actuelles. Mais elles offrent le temps comme ruine, comme sur un seuil, pris dans le moment qui précède peut-être sa disparition, qui donne sur son évanescence. Et, en même temps, elles le proposent comme sans cesse renaissant, comme rémanence et résistance tout à la fois. Le temps ressurgit toujours, mais il le fait dans le moment où il suggère simultanément sa chute irrémédiable. En fait, le temps surgit comme un présent absolu et éternel. Et comme un temps impossible. Car le paradoxe est qu’ainsi saisi et arrêté dans sa course, le présent devient hors course et, comme tel, se renie dans sa dimension temporelle, comme présent.
Le rapport au temps est bien différent dans la seconde série. Alors que dans la première, on était frappé par l’aspect sculptural de la matière argentique couchée sur le papier, dans cette deuxième série, c’est une certaine fluidité dans le passage des images qui s’installe. Le fait de se retrouver devant des images véritablement argentiques change aussi la donne. Le tremblé cinématographique est ici sensible. Ces images ne trouveraient leur sens, nous semble-t-il, que dans la reprise du passage du temps du film. Elles existent donc dans cet entre-deux d’un temps saisi dans son passage et son flux. C’est en effet le cours du temps qui est ici l’enjeu et le sujet de ces images. Et un temps pris de court, dans la simplicité rayonnante des sujets saisis.
Ces Travaux présents sont ainsi à prendre au pied de la lettre. C’est effectivement le relevé des tâches du présent, un présent absolu, tenant tout d’une pièce, pris entre son impossible arrêt et son flux inextinguible. C’est cette présence impossible du présent que Michel Lamothe construit et alimente.
Commissaire d’exposition, essayiste et poète, Sylvain Campeau collabore aux revues etc Montréal, cv ciel variable et Vie des Arts.