[Hiver 2001-2002]
Musée du Québec
Du 2 septembre 2001 au 6 janvier 2002
Du land art, on ne connaît généralement que des traces photographiques. Des interventions sur le terrain, on n’aura vu que les images qui les ont documentées. À tel point que l’on peut catégoriser ainsi les amateurs de land art : ceux qui croient qu’il faut se rendre sur les lieux pour faire l’expérience de l’œuvre et ceux qui jugent ce déplacement inutile, affirmant que les documents suffisent. Bill Vazan, un des principaux (sinon le seul) représentants québécois de cet art qu’il pratique depuis une quarantaine d’années, intègre de façon remarquable l’ambivalence de la médiation photographique. De la simple documentation d’œuvres temporaires in situ, il passe à des compositions qui forment paysages, compositions que le commissaire Michel Martin qualifie assez joliment de « territoires reformulés ». Ombres cosmologiques réunit des dispositifs que Vazan, selon un langage emprunté à la physique, nomme les grilles, les membranes, les ovales, les singularités. Ce sont des assemblages de photographies couleur (même les négatifs noir et blanc sont tirés sur papier couleur) prises en Égypte et au Québec pendant l’année 2000, déployés selon des formes qui réfèrent directement à ce que leurs noms suggèrent, grilles, ovales, etc. Les épreuves étant toutes de format rectangulaire, ce sont leurs motifs internes, panoramas fragmentés puis reconstruits par juxtaposition, qui déterminent les figures. La plupart de ces dispositifs sont présentés aux murs, quelques-uns sont au sol, légèrement surélevés. Si cette façon de mettre en forme des groupes d’images peut sembler un peu déjà vu, les montages de Vazan restent tout de même convaincants.
La photographie permet de ces télescopages d’espace et de temps qui font ressortir les singularités/similarités visuelles entre des sites que tout éloigne habituellement. D’habiles rapprochements signalent de possibles proximités d’un continent à l’autre, de l’Égypte au Québec, des formations rocheuses façonnées par l’érosion aux temples édifiés par d’anciennes sociétés. On retient tout particulièrement cette Singularité qui associe, en trois bandes horizontales, la rive sud-est de la Grande-Île de l’archipel de Mingan et deux panoramiques des environs de Gizeh.
Parmi ces compositions, sont accrochés quelques tirages de grand format montrant des interventions sur les lieux, deux œuvres de land art aux îles Mingan et trois en Égypte. Ces dernières images mettent en évidence de curieuses composantes paysagères des documents de travaux de land art. Ces photos nous rappellent que les œuvres in situ sont très souvent exécutées dans des environnements spectaculaires, ce qui rend immédiatement séduisantes les prises de vue documentaires.
Ailleurs, dans ce Scorpion at base of Mount Sinai, une longue trace sinueuse que l’on croit être l’œuvre retient l’œil, avant que l’on comprenne que ce n’est que l’empreinte de passages répétés et que l’intervention est à voir un peu plus à gauche, un scorpion justement, fabriqué de morceaux de pierre. De même parfois, au cours de promenades, on rencontre des marques dues au hasard de l’érosion, du temps, des transhumances, dont on croit un moment qu’elles seraient des œuvres de land art oubliées là. C’est peut-être ici que l’on peut saisir cette idée de modèles cosmologiques, chère à Vazan comme à beaucoup de ses collègues de la première époque des earthworks monumentaux et isolés, période pure et dure de la fin des années soixante. Car Vazan veut montrer la « présence de phénomènes interactifs qui sous-tendent le rapport universel nature/culture » (Michel Martin) et on veut bien ici le suivre, même si ces réflexions nature/culture sont un peu lassantes et que l’on n’adhère pas vraiment à ces notions cosmogoni(logi)ques. Signalons au passage la mise en espace fort intéressante de cette exposition, ces très beaux documents d’interventions in situ proposés comme de judicieux contrepoints aux constructions photographiques plus complexes. On ne pourra en dire autant du catalogue dont la mise en pages, qui repousse ces documents tous ensemble en fin de section, est plutôt banale.
Le land art est une forme qui peut sembler datée ; pour certains cela s’entend comme une vieille histoire. Là où Vazan déjoue cette conception, c’est en reprenant à son compte le travail photographique, de toutes façons indissociable du type d’intervention qu’il pratique, et en opérant le déplacement d’une photographie documentaire qui fabrique du paysage comme par inadvertance jusqu’à un travail consciemment paysager. Après tout, c’est bien le photographe qui est un capteur d’ombres.