Françoise Marquet, André Derain et la photographie – Christine Desrochers

[Automne 1998]


Paris, Éditions Ides & Calendes, Collection Polychrome, 1997, 93 pages.

Si l’importance de la pratique photographique dans la genèse de nombreuses productions picturales est bien connue, très peu d’ouvrages sont écrits sur le sujet. En effet, peu d’historiens ou de critiques d’art se sont attachés à définir les termes de ce dialogue particulier et très riche entre photographie et peinture. Dans cette jolie plaquette, Françoise Marquet soutient que l’on peut retracer l’usage de la photographie dans un nombre important d’œuvres du peintre français André Derain. Cet artiste est bien connu pour sa période fauve mais aussi pour ses allégeances au cubisme et plus particulièrement à Picasso avec qui il fut très lié. D’ailleurs, Picasso fit aussi abondamment usage de la photographie non seulement comme modèle ou point de départ mais aussi beaucoup comme œuvre en soi : l’exposition «Picasso photographe» présentée en 1995 au Musée Picasso à Paris en rendait compte. Chez Derain, la part de la photographie ne semble pas aussi généreuse que dans l’œuvre de Picasso mais néanmoins il y a suffisamment matière à établir un parallèle et la recherche de Marquet en témoigne efficacement.

Outre l’œuvre Le Bal à Suresnes de 1903 où Derain a procédé par une mise au carreau pour transposer l’image photographique sur la surface picturale, les correspondances formelles dans l’ensemble de la production répertoriée sont plus souples. Il ne s’agit pas généralement d’un usage littéral de l’image-source mais Derain s’en sert souvent à titre d’auxiliaire de la mémoire et surtout comme modèle. Pour ce peintre, la photographie met au jour «le sujet d’inspiration sous tous les angles, dans sa totalité, comme si, avec l’appareil, Derain arrivait à voir mieux, cherchant à percer son mystère, captant les changements imperceptibles». Il délaissera même la copie de tableau, pratique toujours très en vogue au début du XXe siècle, pour n’utiliser que la photographie comme source d’inspiration. Derain voit dans la photographie l’avantage de la reproduction et de la multiplicité des points de vue «comme si l’image répétée lui permettait de voir mieux, plus intensément».

Outre les correspondances plastiques et iconiques entre les deux médiums, il est touchant de constater la force et les qualités esthétiques de ces images photographiques oubliées. La plupart d’entre elles revêtent un caractère insolite, étrange et certaines mêmes sont franchement surréalistes comme en témoigne la page couverture. En effet, presque toutes ces photographies retrouvées ont un cachet énigmatique tant au niveau des mises en scène en studio, que de l’utilisation des zones ombragées dans les scènes extérieures. Les personnages paraissent toujours installés dans un univers d’équilibre, en «situation d’attente» alors que les paysages sont très variés mais présentent tous, de manière importante des zones plus obscures qui évoquent le mystère, ce qu’on nous cache. On sent bien une recherche esthétique dans ces images tant au niveau de la forme que du contenu. Il faut noter cependant que les documents photographiques ne sont ni titrés, ni datés, reflétant ainsi probablement un moins grand intérêt de la part de Derain pour sa production photo que pour ses tableaux. Dans l’ensemble, il s’agit d’un petit livre bien fait qui situe de manière fort captivante l’importance de la photographie dans l’œuvre picturale d’André Derain.