Grand Palais, Paris, France
Du 14 novembre 2013 au 10 février 2014
Par Franck Michel
Raymond Depardon est sans contredit l’un des photographes et cinéastes les plus marquants de notre temps. Il possède à son actif un nombre impressionnant d’expositions, de publications et de films, raffinant, projet après projet, sa vision du monde patiente et attentive depuis plus de cinquante ans.
En France, il est un monument. Au Québec, il a eu son influence parmi un cercle d’initiés et on lui accorde volontiers le respect des grands mais, étonnamment, ses images et ses films ont peu été vus, si ce n’était des efforts déployés par la Cinémathèque québécoise à quelques reprises. L’exposition que lui consacre le Grand Palais à Paris cet hiver vient confirmer sa place au panthéon de la photographie. Les salles de la prestigieuse institution sont surtout réputées pour présenter des expositions à succès des grands courants de l’histoire de l’art. Cependant, depuis sa rénovation il y a quelques années, la Nef est investie par les grands noms de l’art contemporain. Lors de ma visite, ce magnifique lieu était occupé par l’imposante messe de la photographie contemporaine qu’est la foire Paris Photo. L’exposition Un moment si doux est située dans une des ailes du bâtiment dans une salle de taille moyenne mal adaptée aux œuvres de grand format. Organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais en collaboration avec l’agence Magnum Photos, elle réunit plus de 150 photographies en couleur pour la plupart inédites. Le directeur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, Hervé Chandès, en assure le commissariat.
L’exposition se divise en deux parties distinctes. Sous le titre Les années déclics, la première regroupe des images de jeunesse et quelques reportages en couleur. Parmi ceux-ci la série inédite sur Glasgow (1980) représente sans aucun doute un des moments forts de l’exposition. Photographiée près des gens, elle propose une vision très personnelle de la ville, où des couleurs sombres et saturées dominées par le gris viennent accentuer l’austérité et la rigueur du quotidien. La seconde partie, intitulée Un moment si doux, propose des images plus récentes réalisées en marge des grands projets thématiques de l’artiste lors de différents voyages entre 2005 et 2013. Raymond Depardon est avant tout réputé pour son travail en noir et blanc. Ce choix délibéré ne l’a pas empêché d’avoir eu recours à la couleur à maintes reprises. Ce travail était jusqu’ici peu connu hormis l’imposant projet consacré à la France en 2010. Le parti pris de consacrer une exposition uniquement à la couleur représentait un pari risqué qui se devait de dépasser le simple argument marketing.
Au premier abord, il semble difficile de comprendre quelles lignes artistiques justifient le choix des corpus présentés. Si l’objectif premier était de proposer une véritable rétrospective de l’œuvre en couleur, il aurait été souhaitable qu’il y ait plus d’images et que la plupart des projets en couleur soient réunis. D’un autre côté, si le but était de montrer seulement le travail récent, pourquoi avoir senti le besoin de légitimer cette idée en consacrant près de la moitié de l’exposition à des séries plus anciennes et à des images uniques qui ne possèdent qu’un intérêt anecdotique ? L’exposition aurait certainement gagné à afficher une direction artistique plus affirmée.
D’ailleurs, la section la plus intéressante est sans contredit celle où l’on décèle la signature du commissaire : une séquence d’une vingtaine d’images verticales de petit format. Photographiées dans divers pays au cours des dernières années, ces images d’intérieurs vides de toute figure humaine, où la modernité ne semble avoir aucune prise, démontrent un remarquable travail de cadrage et d’utilisation de la couleur. Depardon a toujours su photographier avec sensibilité les lieux du quotidien banals et austères (bar, restaurant, chambre d’hôtel, couloir, etc.), mais ici la couleur apporte une nouvelle dimension à l’image ; la charge fictionnelle du noir et blanc laisse place à une plus grande prégnance du réel.
Sur le mur opposé, des images de très grand format leur font face. Réalisées en Afrique, aux États-Unis, en Amérique du Sud, à Honolulu et en France, la plupart de ces photographies sont empreintes d’une force paisible, loin de tout sensationnalisme. Dans le regard de Depardon, encore émerveillé après avoir fait plusieurs fois le tour de la planète, après avoir photographié la faim, la soif, la misère, les conflits armés, les oubliés de ce monde, on sent une certaine sérénité et un besoin de calme, d’ailleurs confirmés par le titre de l’exposition : Un moment si doux. Cette quiétude se retrouve de manière éloquente dans cette image de deux hommes drapés de blanc, assis sur les racines du tronc d’un arbre immense dans la lumière dorée d’une fin d’après-midi dans le désert. Ils ne font rien, n’attendent rien. Seule la lumière décline. Dans une autre, une jeune fille toubous, debout contre un rocher aux côtés de sa mère, attend, le regard vague. Ici non plus il ne se passe rien. Le temps semble immuable.
Que ce soit en couleur ou en noir et blanc, Depardon porte sur le monde un regard juste, exempt de toute complaisance. Après avoir délaissé le photojournalisme il y a plus de trente ans, il poursuit une quête constante de l’anti-spectaculaire, du non-évènement. Malgré les failles de l’exposition, les images d’Un moment si doux amènent cette quête à son paroxysme.
Franck Michel œuvre depuis plus de vingt ans dans le milieu des arts visuels et plus particulièrement en photographie. Il a été associé au Mois de la Photo à Montréal comme recherchiste et commissaire d’expositions en plus d’avoir travaillé comme rédacteur en chef de la revue CV Photo et directeur de la galerie VOx. Il a également dirigé plusieurs publications et l’organisation d’évènements en arts visuels. De 1999 à 2008, il a assuré la direction du centre Est-Nord-Est, résidence d’artistes situé à Saint-Jean-Port-Joli. Depuis décembre 2008, il dirige le Musée régional de Rimouski.