[Hiver 2013]
Melanie Gilligan
Popular Unrest, Crisis in the Credit System
Jan Švankmajer
Zahrada, Byt, Do Pivnice
VOX, centre de l’image contemporaine, Montréal
Du 8 juin au 11 août 2012
La présentation du travail de Melanie Gillligan et de Jan Švankmajer à VOX a pu paraître comme une suite logique aux événements du printemps érable, même s’il y a tout lieu de croire qu’il ne s’agisse que d’un heureux hasard. Au-delà de cette coïncidence avec l’actualité québécoise, il faut reconnaître que la multiplication des mouvements contestataires sur la scène internationale, souvent sous la houlette du mouvement des indignés, peut expliquer à elle seule le désir de programmer et de présenter en sol montréalais les productions de ces deux artistes cherchant à favoriser la réflexion sur les questions liées au politique.
L’exposition de Melanie Gilligan proposait deux vidéos, soit Crisis in the Credit System (2008) et Popular Unrest (2010), des œuvres critiquant les avancées de l’idéologie néolibérale et les dérives de l’économisme contemporain. Dans la première, un grand groupe financier organise un atelier de formation afin de créer des stratégies d’adaptation optimales au marché et ainsi échapper à la crise. Le retournement final, où les collaborateurs de l’entreprise deviennent les victimes des recettes qu’ils ont aidé à mettre au point, illustre bien la vision de l’artiste. Dans la seconde, des scientifiques mènent une étude pour comprendre ce qui pousse des gens à se rassembler de façon spontanée et sans véritable raison. En parallèle, on découvre la mise en place d’un système permettant de mesurer et de capter l’énergie vitale des gens pour mieux en prévoir les comportements.
Ces deux productions utilisent la structure en épisodes de la série télévisée. Si le choix peut se justifier par l’efficacité du modèle, rappelons que ce formatage narratif est très souvent assimilé à un prêt-à-penser par les chercheurs se penchant sur la télévision. Malgré l’usage intelligent qu’en fait Gilligan d’un point de vue esthétique, son discours critique ne gagne absolument rien d’un tel usage, ce qui est particulièrement probant avec Crisis in the Credit System, diffusée de façon conventionnelle (projection sur un mur, son diffusé dans la salle, sièges disponibles, etc.). La solution adoptée pour présenter Popular Unrest parvient quant à elle à court-circuiter l’effet néfaste provoqué par le recours à la structure en épisodes. La disposition des moniteurs reproduit une sorte d’îlot qui rappelle l’organisation des lieux de travail dans certaines entreprises, lecture que tend à renforcer l’utilisation de paravents en tissu gris ou en plexiglas. Cette division de l’espace et la diffusion en boucle d’épisodes de différentes durées rendent pratiquement impossible un visionnement en continu, ce qui favorise un retour introspectif sur ce que l’on vient de voir et permet un meilleur retour critique sur les concepts mis en lumière par l’œuvre.
VOX proposait aussi trois courts métrages du cinéaste tchèque Jan Švankmajer reconnu pour ses films d’inspiration surréaliste, sortes de cauchemars résultant de l’anéantissement de la tentative d’implantation d’un socialisme à visage humain en Tchécoslovaquie lors du Printemps de Prague. Zahrada (1968) raconte la visite qu’un individu fait de la demeure d’un ami dont la clôture est composée de différentes personnes se tenant la main. Après avoir appris les raisons de ce curieux assemblage, celui-ci décidera de prendre place parmi les gens formant ce mur d’enceinte. Dans Byt (1968), un homme constate, après avoir été projeté dans une pièce, qu’il ne s’agit pas d’un appartement ordinaire. Peu à peu, les objets s’animent et s’en prennent à lui, l’empêchant de s’évader de cette prison. Enfin, dans Do pivnice (1982), une jeune fille doit descendre dans une cave, lieu lugubre occupé par d’étranges personnages et dans lequel les objets sont vivants et agressifs, pour aller chercher des pommes de terre qui lui résistent, tout en affrontant un maléfique chat noir.
Même si l’on tend à reproduire certaines caractéristiques de la salle de cinéma (lumières tamisées, sièges, etc.) et que les trois films bénéficient d’une projection d’images de grandeur fort acceptable, on peut se demander ce qu’ils gagnent à être diffusés dans les murs d’une galerie. Si le dispositif de présentation mis en place à VOX favorise la mobilité du spectateur, sorte de zapping par déplacement physique, le recours aux casques d’écoute, qui suscitent un arrêt obligatoire dans l’espace, neutralise et contrecarre les possibles trajectoires des visiteurs. Certes, ce choix peut s’expliquer par le désir de limiter la contamination sonore d’une œuvre par une autre, mais il contribue aussi à isoler le visiteur dans sa bulle sonore, transformant profondément une expérience voulue collective au départ. Au-delà de ce cas particulier, cette exposition nous rappelle comment le transport des images d’un lieu de diffusion à un autre est loin d’être évident et qu’il implique une nouvelle conception de la réception idéale des œuvres ainsi redéployées.
Critique et historien de l’art, Pierre Rannou agit à titre de commissaire d’exposition. Il a publié quelques essais, participé à des ouvrages collectifs, rédigé quelques opuscules d’exposition et collaboré à différentes revues. Il enseigne au département de cinéma et communication et au département d’histoire de l’art du collège Édouard-Montpetit.