[Hiver 2013]
Making History
Ray 2012 Fotografieprojekte
Frankfurt RheinMain
Du 20 avril au 8 juillet 2012
Making History, présentée à Francfort entre les mois d’avril et de juillet 2012 est un évènement majeur qui s’inscrit dans un projet beaucoup plus vaste et ambitieux sous les auspices de Ray 2012 / Fotografieprojekte1. Pour la première fois cette année, l’évènement privilégiait les pratiques photographiques contemporaines sous le thème générique du temps, l’une des dimensions fondamentales de la photographie. En tout neuf expositions réparties dans plusieurs institutions de la ville dont Making History, elle-même présentée dans trois musées qui, chacun, présentait et développait un aspect particulier du thème général. Six commissaires avaient été retenus pour désigner les trente-deux artistes choisis et rédiger le catalogue. C’est dire l’ampleur et l’ambition des organisateurs.
Making History propose une réflexion sur les représentations de l’espace social, sur le pouvoir des images publiques véhiculées par les médias, du photoreportage au tabloïd, en passant par l’image publicitaire. Partant du postulat que la photographie depuis son invention a bouleversé les modes de représentation, notamment celui de la peinture d’histoire, le choix des com-missaires était orienté par les questions suivantes : Comment la photographie aujourd’hui, après la peinture d’histoire, façonne-t-elle la représentation de l’histoire, quelles images en retiendrons-nous ? Quels sont les nouveaux paradigmes que nous a laissés le xxe siècle ? Quelles images sont les plus significatives ? Les œuvres présentées au Frankfurt Kunstverein développent une problématique liée à l’appropriation des images journalistiques, où les représentations de la guerre et des grands conflits mondiaux occupent une place centrale.
Les commissaires ont privilégié une très large diversité d’orientations, d’approches et de disciplines incluant aussi bien la photographie, la vidéo que l’installation. Dans une perspective critique, les œuvres interrogent tout aussi bien les modalités de la représentation évènementielle que les conditions dans lesquelles ces images prétendent à une représentation du monde et, dans un autre registre, des œuvres qui tentent de renouveler les formes de représentation de la photographie de guerre. Emblématique de la réflexion proposée par les commissaires est l’œuvre maintenant largement reconnue de Luc Delahaye, qui marque le passage du photojournalisme de presse aux murs des institutions culturelles revendiquant, par ses dimensions et son esthétique, le statut de tableau d’histoire.Citons par ailleurs, l’œuvre de Peter Piller, le plus souvent associé à l’art conceptuel, qui présente Stop, un extrait de la série Archive 2001-2011. Depuis les années 1990, Piller collectionne les images de presse issues de différents journaux régionaux qu’il numérise et regroupe selon divers motifs et structures afin d’élaborer une typologie de ces motifs et structures qui caractérisent les formules et stéréotypes de la représentation des évènements publics.
Par ailleurs, l’installation vidéo Xanadu (2006) de l’artiste interdisciplinaire Robert Boyd incarne une autre stratégie fondée sur l’appropriation de documents d’archives qui dénonce sur un mode parodique la spectacurisation de l’actualité journalistique. Sur quatre écrans, l’installation présente un collage d’images de violence tirées de l’actualité politique, le plus souvent des discours d’hommes politiques, de gourous gesticulants ou de défilés militaires. L’installation, accompagnée de très courts extraits – au rythme rapide évoquant le vidéoclip – de la bande sonore du film à succès Xanadu interprétés par Olivia Newton Jones, baigne dans une atmosphère de discothèque.
Afghanistan Chronotopia (2001-2002) de Simon Norfolk renouvelle l’approche traditionnelle de la photographie de guerre orientée sur le sensationnalisme des images de combats. Ses paysages font plutôt voir les conséquences désastreuses de la guerre sur l’environnement, l’architecture notamment, les ruines, les vestiges. Ils monumentalisent les traces de la destruction. Plusieurs des œuvres présentées s’inscrivent dans cette orientation, la série As Terras Do Fim Do Mundo de Jo Ractliffe, photographe originaire d’Afrique du Sud, revisite à la manière d’un topographe les territoires ravagés par la guerre d’indépendance en Angola. La série 89/90 de Michael Schmidt, photographe allemand, saisit peu après la chute du mur de Berlin les alentours du mur, les lieux où s’inscrivait l’histoire. Frank Schramm pour sa part choisit dans son reportage de l’attaque du World Trade Center les marges de la couverture médiatique de l’événement. Stands-ups: Reporting Live from Ground Zero (2001) montre la scénographie et les dispositifs qui président à la mise en ondes de la nouvelle par les journalistes étrangers. Dans un tout autre registre, les préoccupations de l’Atlas Group sous la responsabilité de Walid Raad et de Thomas Demand mettent en question les conditions de possibilité d’une représentation de l’évènement historique, voire d’une écriture de l’histoire, et sèment le doute sur la valeur de vérité et l’autorité de l’image photographique du document d’archives.
Au total, les enjeux soulevés par l’évènement n’ont rien d’inédit, des expositions comme Face à l’Histoire : l’artiste moderne devant l’évènement historique (Paris, Beaubourg, 1996), Maintenant. Image du temps présent (Montréal, MPM, 2003) ont déjà démontré l’importance de la question relative aux relations entre l’artiste moderne et la représentation de l’Histoire. Cependant, son mérite est assurément de rappeler que cette question, loin d’être épuisée, constitue une des orientations majeures, voire une tendance forte de l’art contemporain. Outre les figures dominantes qui ont contribué à définir ces enjeux et dont on pouvait voir ici les œuvres les plus récentes, l’exposition a permis de prendre connaissance de la très grande diversité des propositions qui alimentent toujours cette réflexion. Pour celui qui ne serait pas familier avec ces enjeux, pour celui qui souhaiterait plus simplement faire le point sur ses développements les plus récents, le catalogue très abondamment illustré constitue une référence obligée.
Serge Allaire est commissaire indépendant, critique d’art et chercheur. Ses contributions ont porté sur l’art contemporain québécois, l’histoire de la photographie et de la mode. Il enseigne l’histoire de l’art et de la photographie au Département d’histoire de l’art de l’uqam.