[Printemps 1989]
par Jean-François Leblanc
Je connais deux passions :
la photographie et les femmes*
La photographie et la passion amoureuse
ont au moins ceci en commun :
ce sont toutes deux des fixations dans le temps.
Fixations d’un moment ou d’une rencontre privilégiée,
arrachés à la course des événements,
mélanges de subjectivité et d’objectivité
qui transcendent le réel.
Les deux auront à subir l’épreuve du temps.
FRANÇOISE DANS LA PISCINE DE L’HÔTEL. J’AI PRIS 4 PHOTOS. LA BOUGÉE EST LA MEILLEURE. IL S’ENSUIVIT NOTRE PREMIÈRE ÉTREINTE. LA NUIT ÉTAIT MOITE. L’EAU TIÈDE. NOS VÊTEMENTS COLLAIENT À NOS CORPS. TA PEAU ÉTAIT PRESQUE VISQUEUSE. OUI, AGRÉABLEMENT VISQUEUSE. LES VAGUES FAISAIENT DES CLAPOTIS MÉTAPHORIQUES. LA POMPE RONRONNAIT DOUCEMENT. AU LOIN LES GRILLONS FAISAIENT BRUYAMMENT LA FÊTE. IL Y AVAIT UNE ODEUR DE RHUM DANS L’AIR. TES LÈVRES FURENT DÉLICIEUSES. LE MOMENT ENVOÛTANT.
LE MATIN. MICHELINE SUR LA TERRASSE DE NOTRE CHAMBRE. NOUS NOUS SOMMES DISPUTÉS. JE NE SAIS PLUS SI C’EST AVANT OU APRÈS. «DISPUTÉS» EST UN EUPHÉMISME. DISONS QUE NOUS NOUS SOMMES ENTRETUÉS. PASSIONNÉMENT. JUSQU’À L’ÉPUISEMENT. NOUS AVONS TOUCHÉ LE FOND. MOMENT CHARNIÈRE QUI FAIT QUE TOUT NE SERA JAMAIS PLUS PAREIL. LA PHOTO EST MOCHE. LE MOMENT AUSSI. MAIS IMPORTANT. MAINTENANT J’AIME CETTE PHOTO. NON PAS POUR CE QU’ELLE ME RAPPELLE MAIS PARCE QU’ELLE ME RASSURE. LE TEMPS A FAIT SENTIR SON EFFET.
PAUL ET ÉLIA, SA FILLE. CETTE FOIS, J’AI REVÊTU MON OEIL DE VOYEUR. JE ME FAIS ABSENT. LA SCÈNE QUI SE DÉROULE DEVANT MOI M’AFFECTE. POSITIVEMENT. EN MÊME TEMPS JE ME SENS JALOUX. J’AIMERAIS ÊTRE À SA PLACE. EN CET INSTANT. SENTIR LES BRAS DE MON ENFANT AUTOUR DE MON COU. C’EST LA PREMIÈRE FOIS QUE JE RESSENS UN TEL DÉSIR. QUE J’ENTREVOIS LES PLAISIRS DE LA PATERNITÉ. DEMAIN JE PRENDS L’AVION. UNE SEMAINE DE PARADIS ET DE FARNIENTE. JE PENSE INTENSÉMENT À MICHELINE.