[Automne 2017]
Géographies : recomposées. S’ensevelir
Maison des arts de Laval, salle Alfred-Pellan
Du 7 mai au 16 juillet 2017
Par Sylvain Campeau
Pour cette exposition, il a été demandé aux deux artistes d’accepter une proposition de départ de la commissaire Catherine Barnabé. Il s’agissait de soumettre leur pratique singulière à la conception d’un travail conjoint envisagé sous l’angle de la géographie. Pour la commissaire, cette perspective avait l’avantage de les amener à échapper au genre contraignant et si historiquement marqué du paysage pour plus nettement se consacrer aux relations qui existent entre celui-ci et les individus.
En Sara A. Tremblay et Léna Mill‑Reuillard, elle avait les artistes les plus à même de donner un résultat intéressant. Pour la première, la photographie semble être l’occasion d’accumuler images, informations, matériel et actions pour témoigner de son passage dans un lieu. Pour la seconde, le cadre et l’écran sont des espaces de représentation qui méritent investigation, pour chercher à voir ce qu’il en est de l’inscription de l’image ou des images en eux.
La première surprise, en entrant dans la galerie, c’est ainsi de ne pas trouver une succession des œuvres de l’une et de l’autre de ces artistes, mais bien des œuvres conjointement créées par les deux. Il a donc fallu, de leur part, se plier à cette prémisse qu’elles devaient créer ensemble un corpus de pièces qui porteraient la trace de leur esthétique singulière et de celle, appariée, que leur association allait susciter. Les œuvres forment, de plus, un parcours assez éclaté dans l’espace très ouvert de la galerie, disposition choisie pour cette proposition artistique. Des projections sur écran tendu en voisinent d’autres qui se présentent directement sur les murs.
On retrouve donc des traces de leur contribution dans des œuvres principalement en projection. C’est parfois une fenêtre quadrillée, verticale, derrière laquelle de la neige s’est accumulée. Mais il s’avère bien vite que les deux artistes ne sont pas loin derrière, s’escrimant à dégager ladite fenêtre de leurs efforts conjugués, remuant pelletées de neige sur pelletées de neige.
Ou alors, elles sont toutes les deux à tenir, pendant que le vent cherche à s’en emparer, un tissu qui fait écran, alors qu’elles sont sur le traversier qui relie Lévis à Québec. D’elles, on ne voit que les mains, s’agrippant de peine et de misère au blanc suaire qui fait une trouée sur l’arrière-fond d’un paysage. Dans les performances, on sent l’implication de Sara A. Tremblay qui a ainsi amené Léna Mill-Reuillard sur son terrain. Mais la présence de ces carrés blancs ou autres espaces de la même tonalité qui viennent former une surface de neige étale sur des scènes elles-mêmes neigeuses, rappelle les travaux antérieurs de la seconde. La préoccupation de celle-ci pour une sorte de matérialité nébuleuse des couches d’images, sur un effort d’accumulation ou de palimpseste des écrans et des états des images dans l’image, se plie à l’occupation dans l’image d’une performance et d’une présence de l’artiste. Les écrans étalés deviennent des objets manipulés et c’est là qu’on sent la touche de Sara A. Tremblay. Tout se passe vraiment comme si aucune des artistes n’avait empiété sur le terrain de l’autre, ni cédé le pas à l’esthétique de sa consœur. Elles ont réellement créé des œuvres qui s’enrichissent de la rencontre de leur perspective propre et de leur vision singulière.
Une projection dans le coin arrière de la galerie montre ce même travail de mise en commun des univers. Un écran, de biais par rapport au coin, expose une débâcle de glace prise en plongée totale. Devant, un autre écran fait obstacle et surenchère à la fois, à distance du plus grand. Sur celui-ci, ce sont des surfaces blanches, aussi friables qu’un frimas givré, qui viennent proposer à l’œil. Bientôt, des mains s’interposent. Elles s’emploient à mieux agencer, dirait-on, ces plaques glacées. Le mouvement qu’elles impriment aux objets nous fait comprendre qu’il s’agit là de feuilles de papier froissées. Leur blancheur et leur surface chiffonnée, de pair avec l’image de fond qu’elles complètent, nous ont abusés.
Ce n’est plus le cas avec la plus grande projection. Deux silhouettes lointaines, dans un paysage de neige, s’avancent vers nous. Arrivées à bonne distance, elles se mêlent de dérouler une longue et large bande de papier blanc qu’elles s’obstinent à vouloir opposer au paysage déjà passablement laiteux, question, peut-être de la gommer ou de le redoubler. Ou les deux ! Mais le vent est tel que la bande se déchire bientôt et s’enroule autour des protagonistes. Presque effacées, il ne leur reste plus qu’à retraiter. Ensevelies, penaudes un brin !
Ne s’impose pas qui veut à la rigueur des neiges qui soufflent et tombent !
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.