[Hiver 2019]
Par Jacques Doyon
De la manipulation de la lumière (par sa décomposition, la combinaison de ses différentes couches ou des effets de diffraction) au travail sur les surfaces d’inscription (pellicules, papiers photo, surfaces murales) jusqu’au repérage de compositions picturales dans les rues de la ville, un espace d’exploration s’ouvre pour la photographie autour des diverses manifestations de la couleur. Il en résulte des images qui mettent en question nos perceptions. Le référent de ces travaux est souvent la peinture abstraite et sa longue tradition d’expérimentation, mais le réel aussi comporte sa part d’ambiguïté perceptuelle quant à l’impact des couleurs et leur usage sur les murs de nos villes.
La lumière a toujours été au coeur des travaux de Yann Pocreau, servant tout d’abord d’écrin à une présence corporelle s’arrimant aux lignes essentielles d’un espace. Puis cette présence du corps s’est progressivement effacée pour laisser place à la lumière seule et à son rôle dans la matérialisation de l’espace. Ce fut sous forme de projection tout d’abord, jouant du blanc et des zones d’ombre, puis explorant les combinaisons de multiples filtres de couleur. L’attention s’est ensuite déplacée des surfaces des murs vers celles des papiers photo, explorant leur capacité à réfléter la lumière et à rendre la couleur, ce qui a ouvert la voie à la recherche actuelle sur les variations des différents systèmes de couleur en photographie jusqu’à se mesurer aux expérimentations de l’abstraction picturale.
Itérations (I), de Jessica Eaton, constitue une première présentation du résultat de deux intenses années d’expérimentation en studio. Cette série s’inscrit dans la suite d’une démarche originale de production d’images photographiques abstraites entièrement réalisées in camera, par expositions multiples et captations directes, et à l’aveugle, de manipulations d’objets peints en gris et l’usage de filtres colorés. Itérations (I) propose ainsi une série de variations optiques complexes fondées sur la permutation systématique d’éléments colorés additionnant les cadres dans les cadres pour construire une sorte de tunnel de vision vibrant de couleurs qui finit par dominer l’espace de représentation qui n’est en fait qu’une ouverture, s’amenuisant de plus en plus, sur le mur du fond. Une seconde série joue, quant à elle, des variations de la prééminence perceptuelle d’un premier plan monochromatique sur les couleurs contrastées du mur du fond et de la surface de la table.
Chez Bert Danckaert, la couleur est, là aussi, très présente. Non plus produit d’une expérimentation sur la lumière, mais donnée perceptuelle extraite d’un réel déjà existant que le photographe cadre pour en extraire la composition inhérente et la montrer. Ces scènes de nos environnements urbains sont indifféremment un peu les mêmes dans toutes les grandes villes du monde. Danckaert les découpe un peu comme des peintures abstraites, en privilégiant une géométrie d’aplats colorés sur laquelle se détachent les éléments du paysage urbain. Ces scènes dénotent souvent une tentative un peu dérisoire de recréer une nature artificielle dans un environnement ingrat, trop souvent marqué des traces d’un entretien insuffisant. Tout à fait l’envers des monuments clinquants et chics auxquels on associe aujourd’hui l’identité des villes.