Ewa Monika Zebrowski, Le livre photographique comme espace de collaboration — Zoë Tousignant

[Hiver 2021]

Par Zoë Tousignant

[Extrait]
Il va de soi que la création d’un livre photographique nécessite beaucoup de réflexion, de temps et d’énergie. Heureusement, cette somme de travail est habituellement répartie entre plusieurs intervenants qui, chacun possédant une expertise dans son propre domaine, contribuent à la réalisation du produit fini. Parmi ces personnes, on retrouve le plus souvent le photographe, le graphiste, l’éditeur, le réviseur, l’auteur, le traducteur, le papetier, l’imprimeur, le relieur et le distributeur. L’importance du rôle de chacun de ces acteurs, toutefois, est rarement uniforme d’un projet à l’autre et chaque livre apporte donc une reconfiguration de leurs interactions. Par exemple, il m’est arrivé de travailler avec des photographes particulièrement ouverts aux suggestions majeures que pouvaient apporter les graphistes, alors que d’autres avaient simplement besoin de quelqu’un pour mettre en œuvre un concept déjà arrêté. La même chose s’applique chez les éditeurs, qui peuvent se voir en chef de file ou comme facilitateur de l’activité créative.

Chaque situation est différente ; pour autant, lorsque vient le temps de déterminer la paternité du livre photographique, la conclusion est on ne peut plus simple à prédire: l’auteur est le photographe. J’entends les photographes s’exclamer à l’unisson : « Mais bien sûr qu’il l’est ; après tout, c’est mon livre ! » Même s’il n’est pas dans mon intention de sous-évaluer la réflexion, le temps et l’énergie que le photographe investit dans un livre, je veux cependant remettre en cause ce statu quo pour m’interroger sur les perpectives qu’une compréhension alternative pourrait ouvrir. Que se passerait-il si nous mettions à reconnaître les apports de tous les autres contributeurs ? En quoi la prise en compte de ces professionnels et relations élargirait-elle la perception du livre photographique sur le plan conceptuel et aussi, plus simplement, dans la manière dont on le lit ?

Il convient de souligner qu’une désignation claire et sans équivoque de la fonction d’auteur a été un facteur déterminant dans l’acceptation du livre photo en tant qu’œuvre d’art à part entière au cours des vingt dernières années ou à peu près. C’est peut-être précisément pour contrebalancer la complexité de la paternité de l’objet (et sans doute également son affiliation occasionnelle avec l’univers de l’édition populaire) que la reconnaissance du livre photographique s’est appuyée sur la notion que le génie créatif réside chez un seul et même individu. Les noms des photographes sont ce qui guide à la fois l’acquisition des ouvrages par les musées et les collections particulières, et aussi la publication de recueils faisant autorité sur le genre. La situation peut se comparer avec celle du cinéma, domaine dans lequel la majeure partie de l’apport créatif est attribuée traditionnellement au réalisateur, malgré les centaines ou même les milliers de personnes ayant collaboré à n’importe quel film. La notion d’auteur est un artifice commode qui peut contribuer à occulter le fait que, derrière un nom unique, c’est toute une industrie qui est à l’œuvre.

Suite de l’article et autres images dans le magazine : Ciel variable 116 – PAYSAGES MIROIRS