Les Années Musicales : 1920–2020. La dimension spatio-musicale devenue multiplicité — Edward Pérez-González

[Hiver 2021]

Par Edward Pérez-González

[Extrait]
L’un et le multiple. En quelques mots, on peut définir la multiplicité comme une condition amplificatrice des choses, des phénomènes ; un état d’abondance, de potentialités, qui nous permet de percevoir et de comprendre le monde à partir de dimensions différentes et hétérogènes, à partir d’une dimension autre. Ce mode de l’un et du multiple, c’est bien ce à quoi nous confronte l’exposition Les années musicales : 1920–2020, présentée par VOX, centre de l’image contemporaine1.

« Le multiple, il faut le faire2 », disent Gilles Deleuze et Félix Guattari, et cela, non pas en ajoutant des dimensions supérieures, mais plutôt en soustrayant l’unique. C’est à travers cette opération qu’apparaissent les systèmes à caractère rhizomatique qui se plient, se replient et se déplient sans cesse. On en sent la présence lorsqu’on erre parmi les univers contenus dans cette exposition qui produit chez le spectateur une sorte de désorientation, de lutte entre le désir de tout absorber d’un coup et celui de se laisser mener, de se laisser couler selon le rythme ou le silence qui s’impose.

Marie J. Jean, la commissaire de l’exposition, s’est donné pour but, au départ, d’offrir une expérience sensorielle à partir d’œuvres qui mettent en tension l’image et la musique, deux dimensions qu’on retrouve plus communément subordonnées l’une à l’autre3. En effet, l’exposition, presque totalement composée de films et de vidéos, muets et sonores, traverse de façon organique – non séquentielle et non chronologique – cent ans d’évolution de l’art audiovisuel à partir d’une judicieuse sélection d’œuvres qui mettent en évidence une certaine idée de l’histoire de l’art : pas l’histoire d’une succession de styles artistiques, mais plutôt celle d’un ensemble de concepts, de discours et d’intentions théoriques qui s’articulent autour des œuvres. Parmi ceux-ci : le dépassement de l’idée de beauté, l’abandon de la notion de fonctionnalité de l’art, la mise en suspens de la signification et l’autonomie de l’art.

Les années musicales : 1920–2020 ne cherche pas à susciter en nous le désir de revenir à des temps passés, qu’on a vécus ou pas. Elle semble plutôt suspendre le temps afin d’envelopper le visiteur dans une atmosphère d’ici et maintenant chargée d’une vibration expansive que génèrent chaque œuvre, chaque approche, chaque visite de l’exposition. Le temps, encore, devient multiple, de par ce va-et-vient qui rompt le fil de la temporalité ordinaire: la dé-temporalisation du temps.

Suite de l’article et autres images dans le magazine : Ciel variable 116 – PAYSAGES MIROIRS