David Tomas, La parole et le silence — Vincent Bonin

[Automne 2021]

Par Vincent Bonin

[Extrait]
Invité par Ciel variable à poursuivre la réévaluation de la pratique de l’artiste et anthropologue David Tomas (1950–2019) initiée par l’exposition Moving Through Time and Space1, Vincent Bonin offre une vue en coupe de la trajectoire intellectuelle de Tomas, tout en se penchant sur la présence du silence dans certaines de ses installations.

David Tomas a fait partie d’une première cohorte minoritaire d’artistes qui ont décidé de poursuivre des études universitaires jusqu’au doctorat dans les années 1970 et 1980, au moment où peu de voies de traverse amenaient des disciplines éloignées les unes des autres à se croiser. En 1979, lors d’une exposition individuelle à la galerie Optica, à Montréal2, Tomas a lu une communication intitulée The SX-70 (1972): A Machine for the Critical Examination of Context, traitant principalement des attributs de l’appareil instantané polaroid3. Le texte transmis décrivait l’invention du mécanisme interne qui a réduit le moment de latence entre la captation de l’image et l’apparition automatique de l’impression. Tomas associait cette avancée technique à la réorientation d’un rituel de passage. L’exposition comprenait aussi des œuvres basées sur diverses modélisations de phénomènes physiques invisibles pour l’œil humain. Le transfert de ce type de recherche théorique dans le champ de l’art relevait encore d’un événement inhabituel. Tomas illustrait son discours avec des diagrammes qui se superposaient, ajoutant strate par strate une complexité sémiotique aux observations liminaires.

Tomas a étendu les postulats de la conférence de 1979 avec la série d’installations Experimental Photographic Structure (1980– 1982), en condensant l’espace­temps culturel de la production d’images dans une durée continue, au même endroit. Il a programmé des stroboscopes, des chronomètres et des déclencheurs automatiques, qui ont été branchés aux appareils photographiques pour que des clichés polaroid vides de contenu (des « photographies brutes idéologiquement complexes ») soient captés selon une séquence déterminée. Entre ces composants, il a placé un circuit fermé vidéo et des rails de train miniature. Dans l’une des installations, Tomas observait une partie de l’environnement autour de lui par le truchement d’une chambre claire (un outil d’aide au dessin du 19e siècle projetant un spectre d’un objet sur une feuille de papier grâce à un prisme et une lentille). Au moment de la traversée du pont par la locomotive, qui déclenchait un flash, Tomas marquait d’un trait un substrat. Le carré noir qui résultait de cette action, index tactile d’une perception de la lumière aveuglante, constituait l’envers positif des clichés blancs négatifs des appareils polaroid, générés sans contact humain4

 

Suite de l’article et autres images dans le magazine : Ciel variable 118 – EXPOSER LA PHOTO