Michel Saint-Jean. Quand le documentaire se fait revendication — Pierre Dessureault

[Été 2022]

Par Pierre Dessureault

[Extrait]
Les années 1960 et 1970 au Québec correspondent à une révision radicale, dans tous les domaines, des modèles donnés jusque-là comme immuables. Ce grand mouvement de renouveau fait table rase des institutions désuètes et des mentalités sclérosées héritées de la Grande Noirceur duplessiste, et revendique une identité nationale et une fierté collective qui s’expriment dans des formes et des productions culturelles novatrices en phase avec les valeurs portées par la Révolution tranquille. Si les arts de la parole (poésie, chanson et théâtre) se sont emparés d’une voix authentiquement québécoise plus à même de dire les réalités d’ici, les arts de l’image, cinéma et photographie, ont vu l’émergence d’une pluralité de pratiques documentaires qui se sont attachées à peindre un portrait du passage obligé vers la modernité et à définir des approches inédites des réalités sociales. Ainsi les praticiens du cinéma direct auront été les premiers à baliser la voie : pour eux, la production documentaire « aura été l’occasion d’une prise de conscience et d’une réconciliation avec le réel. Instrument de découverte et d’affirmation progressive d’une identité, cette production constitue avant tout une appropriation passionnée du Québec : le Québécois ose enfin se regarder tel qu’il est, le pittoresque (le regard de “l’autre”, voire de l’étranger) laisse la place au familier, la folklorisation de sa culture et de sa condition sociale cède le pas, le mythe s’évanouit devant la réalité1 ».

Délaissant le pittoresque et une vision idéalisée du Québec portés par les impératifs d’information gouvernementale et d’éducation populaire qui dominaient encore la photographie du temps, les photographes, à leur tour, s’impliquent dans le monde social, choisissent leurs sujets et en élaborent le traitement, fixent les paramètres de leur démarche, soit l’exploration de milieux jusque-là ignorés, et l’énoncé de positions politiques. Leur pratique ne se borne pas simplement à montrer les événements, mais entend comprendre les faits de société et les idées de l’époque afin de les communiquer dans une vision personnelle. Ainsi, une pluralité de styles se font jour dans un foisonnement de projets et de créateurs, dont les travaux intègrent tantôt les visées globalisantes d’un Sander ou d’un Atget, le style documentaire d’un Evans, le réformisme des Riis et Hine, le militantisme de la Photo League, le moment décisif de Cartier-Bresson ou encore l’instantané du paysage social…

1 Gilles Marsolais, L’aventure du cinéma direct revisitée, Laval, Les 400 coups, 1997, p. 96.

 
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 120 – FIGURES D’AFFIRMATION ]
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