[Automne 1994]
Serge Clément, Cité fragile,
Montréal, Vox Populi, 1992, 60 p.. III. n. et b., broché, 30 $
Il est malaisé de faire de la photographie documentaire depuis les deux dernières décennies. Elle a été tant décriée, notamment par Martha Rossler et Alan Sekula, pour son rapport inégal entre le photographe, compris comme un nouveau colonisateur, et les sujets, souvent exotiques, réifiés par le médium et son économie. La série que nous propose Serge Clément, et qui faisait partie de son exposition Itinéraires 1987-1992 présentée au Mois de la Photo à Montréal, va au-delà du motif ou du dessein proprement documentaire. Clément amène le genre à sa périphérie et offre un amalgame entre fiction et document.
Le livre, sorte de «carnet de voyage» en Amérique latine, est composé de trois parties : cité de terre, cité de pierre et cité fragile, auxquelles correspondent des textes sensibles de François Jalbert. La virtuosité de Clément est de photographier la poésie du quotidien, tout en y extrayant une idée peut-être personnelle, mais évidemment un trait culturel de l’Amérique latine: la mort. Il y a récurrence des rites et lieux funèbres, des promeneurs solitaires et des symboles mortuaires dans ces images prises sur le vif. L’édition et la présentation permettent au lecteur d’être absorbé par ces images d’un voyage introspectif.
Michel Campeau, Éclipses et Labyrinthes,
Chicoutimi, Séquence, 1993, 32 p., NI. n. et b., broché, 20 $
Michel Campeau a publié en 1988 « Les Tremblements du coeur», série d’images méditatives sur le souvenir de l’enfance et ses traces, sur les mécanismes de la mémoire. Eclipses et Labyrinthes traite un thème similaire : images personnelles auxquelles s’enchâssent des « images télévisuelles» et négatives. Alors que dans la série précédente les images négatives sont celles de photographes notables qui ont inspiré Campeau, dans cet album ce sont les images de Campeau qui sont en négatif. L’utilisation du négatif, qui double une image déjà présente dans le projet, représente un réaménagement symbolique de la mémoire ainsi qu’une affirmation de l’auteur comme photographe. De plus, la mise en page des images, avec encadrés gris, est encore plus efficace et plus soignée dans cette édition. Jean Arrouye observe les jeux entre textes et images en se référant à l’exposition liée à ce catalogue. Il dégage une compréhension des relations de la mémoire, de l’histoire (la grande et la petite) et de l’acte de se souvenir, où la «prise de vue devient prise de conscience». D’ailleurs, le titre atteste la difficulté du souvenir pour Campeau; la photographie est son fil d’Ariane, et la nostalgie fait face à l’écran de l’oubli.
André Goldberg, Portraits-fétiches,
Paris, La Lettre volée, 1994, 103 p.. ill. n. et b., relié. 67$
Dans Portraits-fétiches, Golberg propose le portrait de 42 créateurs en arts visuels d’une même génération travaillant à Bruxelles. Chaque petit portrait, « en buste et mi-corps », est opposé à une image polaroid, un peu plus grande, d’un objet-fétiche apporté au studio du photographe par l’artiste. Une courte phrase commente la prise de vue et ses dessous. Ainsi, les deux pages contiguës de l’album nous donnent trois représentations de l’artiste. D’abord l’objet, qui est le support mythologique de son propriétaire, le définissant dans sa fonction ou dans sa personnalité avec tout l’affect qu’il charrie. Puis le portrait qui, quant à lui, pourrait être extrait d’un magazine de mode: le personnage a toute la conscience de sa pose et contrôle ou joue avec son image. Par contre, le texte vient infirmer une première impression et déstabiliser la compréhension qu’on a de la photo. Le tout donne une représentation énigmatique des personnages. Patrick Roegiers et France Borel présentent Goldberg et son portfolio, et les éditions de La Lettre volée ont fabriqué, une fois de plus, un bel objet.
La photographie comme destruction,
Collectif, Arles, ENP & U. de Provence, 1993, 91 p., ill. n. et b., broché, 26,95 $
Tout un corpus de photographies, qui semblent d’emblée hétérogènes, sont réunies par une même idée ou principe commun, voire même ontologique: la destruction. En huit essais, les auteurs, tous spécialistes de la photographie ou de l’image, dégagent une analyse sur le rapport entre la photographie et les divers degrés de destruction qu’elle opère. Ils considèrent «que la photographie plutôt que de conserver le réel procède à sa destruction » pour proposer un nouveau réel. Les projets discutés, en dehors d’une compréhension générale de la photographie et de sa subversion de l’identité, sont l’image «identitaire» du photomaton; le photo-essai dans son acceptation générique; la banque d’images du FSA; quelques photos de Diane Arbus, etc. Le lecteur pourra, grâce à ces textes, faire sa propre relecture des portfolios de Donigan Cumming et d’Andres Serrano, de Nicole Jolicoeur et de bien d’autres, la destruction étant une idée inhérente au médium photographique.