[Automne 1998]
Barcelone, Espagne
En mai dernier se tenait, à Barcelone, la neuvième édition de La Primavera Fotogràfica. Fondée par David Balsells il y a près de vingt ans, cette biennale internationale a joué, grâce à l’excellent travail de son directeur et de son équipe, un rôle déterminant pour la reconnaissance de la photographie catalane à l’étranger ainsi que pour la photographie en général en Catalogne. Comme à chaque édition, plus d’une centaine d’expositions de photographies historiques et contemporaines étaient disséminées dans la ville et ses environs. Parmi cette multitude d’expositions de tendances et de niveaux très divers, j’en ai retenu une dizaine.
L’exposition phare de cette édition de la Primavera était sans nul doute Hàgase la luz, qui regroupait une dizaine d’installations récentes de l’artiste américain d’origine chilienne, Alfredo Jaar, au Centre d’Art Santa Monica. S’y découvrait, entre autres, une œuvre conçue spécialement pour l’événement : une immense carte de l’Afrique en relief immergée dans une grande piscine remplie d’eau d’un noir opaque. À intervalle régulier, la carte émerge lentement par un système de pompe hydraulique. Avec cette œuvre forte mais peu photographique, Alfredo Jaar poursuit sa réflexion sur l’impossibilité de la photographie et des médias en général à représenter le drame africain (plus particulièrement celui du Rwanda) et dénonce l’immobilisme de l’Occident face à cette réalité trop fréquemment cachée. Ses œuvres bien que servant une cause louable et possèdant une qualité artistique irréprochable, paraissent trop dans le main stream de l’art contemporain (on regrette presque la brutalité des œuvres de Gilles Perres) et renferment de nombreux paradoxes qui les éloignent souvent à mon avis de leur objectif dénonciateur. En effet, l’hermétisme de ces œuvres, les coûts exorbitants de réalisation et l’élitisme des lieux de diffusion (musées d’art contemporain et galeries privées) vont à l’encontre du message véhiculé qui se veut humanitaire, unificateur et populaire. Il y aurait long à dire sur l’œuvre de cet artiste qui a néanmoins le grand mérite de nous faire réfléchir, que l’on approuve ou pas sa démarche. Hàgase la luz reste cependant une exposition remarquable puisqu’elle exhibe les principales réalisations de l’artiste et ainsi nous donne à mieux comprendre cette œuvre souvent difficile.
Certaines galeries privées barcelonaises proposaient aussi une sélection intéressante d’artistes réputés : une généreuse exposition de Flor Garduño, des œuvres récentes de George Rousse et une surprenante exposition de Florence Henry dont l’occasion de voir les œuvres originales est beaucoup trop rare. À Tarragone petite ville côtière des environs de Barcelone la galerie de photographie Forum, présentait une belle exposition de Rhona Bitner. Depuis plusieurs années, cette artiste américaine produit un travail sensible et hors du temps, souvent proche de l’abstraction, en photographiant les cirques et leurs acteurs. La directrice de la Galerie Forum, Chantale Grande est aussi responsable du Tinglado, un vaste entrepôt désaffecté transformé en centre d’art contemporain situé sur le port. Cette année c’était à l’artiste catalane Eugènia Balcells d’investir les lieux avec une exposition complexe sur la mémoire des lieux et le pouvoir d’évocation des objets quotidiens.
Au Musée national d’art de Catalogne, se tenait une imposante rétrospective du photographe catalan Oriol Maspons, né à Barcelone dans les années vingt. Figure marquante d’une nouvelle génération de photographes qui repensèrent la photographie documentaire dans les années 50, il devint l’un des principaux illustrateurs et protagonistes des mouvements culturels des années 60. Ses scènes quotidiennes de la Catalogne urbaine et rurale, qui rappellent souvent la sensibilité d’un Edouard Boubat, constituent un document photographique socio-historique essentiel sur l’histoire de cet état espagnol.
Ce même musée présentait également une admirable exposition consacrée à la photographie moderne tchèque : Bellesa Moderna, Les avantguardes fotogràfiques txeques, 19181948. Fruit d’une recherche approfondie, l’exposition montre à travers les œuvres d’une quarantaine d’artistes, les diverses tendances stylistiques de la production photographique tchèque au cours de cette période fortement influencée par le surréalisme et le Bauhaus. Il est inhabituel de voir des expositions présenter les multiples aspects d’une époque sans pour autant tomber dans le banal survol. Les conservateurs de cette exposition, qui se tiendra prochainement à Paris, à Prague et à Lausanne, ont su brillamment éviter ce piège.
En conclusion, cette neuvième édition de La Primavera Fotogràfica recelait d’intéressantes expositions malheureusement dispersées par une programmation trop abondante et trop variée comme c’est souvent le cas dans ce type d’événement.