[Printemps 2009]
Présenté en ouverture du Festival du nouveau cinéma de Montréal 2008, le dernier film d’Olivier Asselin, Un capitalisme sentimental, est à la fois déroutant et impressionnant. En effet, tout comme pour ses deux derniers longs métrages (La liberté d’une statue et Le siège de l’âme), Asselin propose un film hors du commun, une fable des temps modernes prenant place dans un décor complètement éclaté, souvent emprunté à des courants artistiques du passé.
Le récit, qui se déroule durant les années 1930 tourne autour du personnage de Fernande Bouvier, artiste sans le sou ni talent qui devient la première personne à être cotée en Bourse. En effet, trois spéculateurs financiers ayant fait le pari que tout est vendable, peu importe de qu’il vaut, Fernande est d’abord l’objet de leur cynisme, puis de leurs désirs, pour finir par représenter leur unique espoir de survie. Elle deviendra une vedette, puis une icône, parvenant sans effort à perturber l’ordre économique et le fragile équilibre du monde de la spéculation financière.
Un peu à la manière de Citizen Kane, le film, construit comme une biographie, semble s’écrire à mesure qu’il est raconté. En fait, Olivier Asselin se permet beaucoup d’invraisemblances dans le récit, mais l’aspect visuel extrêmement jubilatoire et les courants auxquels il fait référence (le dadaïsme par exemple) semblent autoriser de tels écarts narratifs.
De plus, le cinéaste adopte un parti pris critique et humoristique et met en évidence la forte présence de snobisme dans les milieux artistiques. Il souligne par exemple que le théâtre et la peinture ne valent jamais tant que lorsque personne ne comprend ou que la critique est mauvaise. Également, le fameux urinoir signé Marcel Duchamp revêt ici une importance considérable, puisqu’il met en évidence l’importance de la signature. En effet, un simple produit d’usine peut devenir extraordinairement valable lorsque signé par une icône contemporaine…
Des décors somptueux
Un capitalisme sentimental pourrait être considéré comme une œuvre d’art tant un grand soin a été apporté à l’aspect visuel du film. Au départ, les décors sont plutôt réalistes, bien que la ville de Paris semble construite en papier mâché. De plus, les éclairages feutrés rendant les contours flous, les personnages paraissent évoluer dans un décor féerique alors que cette partie du récit est pourtant plutôt pessimiste.
Puis, après une rupture de ton au centre du film, les personnages se rendent de Paris à New York en survolant littéralement le globe terrestre de façon très originale. New York est ensuite imaginée de façon presque « cartoonesque ». De plus, le noir et blanc (la première partie était en couleur), les gratte-ciels asymétriques, les personnages se retrouvant dans une voiture dont les décors en carton défilent sous nos yeux, tous ces éléments donnent au spectateur l’impression de revisiter le cinéma et les courants artistiques des années 1920 et 1930.
En effet, certains décors et situations rappellent Charlie Chaplin, d’autres le film noir américain (la fumée de cigarette dans le visage des personnages, l’ombre qui s’avance sur un mur de briques, les cheveux blonds de l’actrice devenue très élégante), d’autres l’expressionnisme allemand. Également, plusieurs intermèdes musicaux évoquent la comédie musicale. Lors de ces scènes, le récit s’arrête complètement pour laisser place à la danse et au chant, voire à la danse à claquettes, comme au temps de Gene Kelly. Également, lorsque les financiers proposent à Fernande de faire un film sur sa vie, une magnifique mise en abîme présente au spectateur un voyage dans le monde de la création, qui peut s’avérer, disons, plus pragmatique qu’il n’y paraît.
En fait, à mesure que les personnages autour d’elle se rendent compte de la facticité des relations, de la fragilité de la richesse, de l’impossibilité de l’honnêteté dans un contexte de crise économique, Fernande s’en trouve encore plus idéaliste et romantique. La facture visuelle du film, suivant l’état d’esprit de l’héroïne, évolue alors vers un univers de plus en plus éclaté et innovateur, laissant toute forme de réalisme de côté, pour cheminer vers une finale inattendue.
Enfin, il est clair qu’Olivier Asselin signe ici un film hors du commun, et ce, tant dans son aspect visuel, à la fois éclaté et très documenté, que dans son scénario, fable fantaisiste particulièrement en phase avec l’actualité nord-américaine. Une fable sur notre façon parfois contradictoire d’établir une relation entre l’art, le sentiment et la finance.
Production, réalisation et scénarisation :Olivier Asselin; production : Daniel Plante, Sylvie Gagné; co-scénarisation : Lucille Fluet; direction photo : Jean-François Lord; direction artistique : David Gaucher
Virginie Doré Lemonde termine présentement une maîtrise en Études cinématographiques à l’Université de Montréal portant sur la représentation de l’artiste moderne au cinéma.