ATSA, FRAG on the Main – Bernard Vallée et Pierre Anctil

[Été 2009]

ATSA, Action terroriste socialement acceptable, collectif fondé en 1997 par les artistes Pierre Allard et Annie Roy, est bien connue pour ses interventions publiques. Chaque année depuis 1998, elle réalise notamment État d’urgence, camp pour réfugiés urbains destiné aux sans-abri de Montréal.

L’ensemble de ses interventions met en question les aberrations présentes dans le paysage urbain et cherche à redonner à la place publique sa dimension citoyenne d’espace ouvert aux discussions et aux débats de société.

FRAG sur la Main (2004 −2006), intervention remarquée par ceux qui arpentent le boulevard Saint-Laurent, propose un parcours visuel permanent pour témoigner de la riche histoire de la Main, tout en saluant les gens qui l’ont bâtie. Des rues Saint-Antoine jusqu’à Mozart, trente-deux affiches, rassemblant photos et documents d’archives, citations d’écrivains et courts textes d’historiens, offrent autant de FRAGments de l’histoire urbaine, sociale, culturelle et économique de cette grande artère. Cette création de l’ATSA, réalisée en partenariat avec la Société de développement du boulevard Saint-Laurent, comporte de plus un volet éducatif avec des textes téléchargeables en audio.
www.atsa.qc.ca

par Bernard Vallée et Pierre Anctil

FRAG 3495 Saint-Laurent
Coin Milton, en haut de la Côte-à-Baron

Il est difficile d’imaginer le carrefour Saint-Laurent et Sherbrooke au début du XIXe siècle, alors qu’on était encore à la campagne. À l’emplacement de la désolante station-service d’aujourd’hui se dressait depuis 1818 l’opulente villa de l’armateur Thomas Torrance, qui devint ensuite la propriété du brasseur John Molson et de sa famille jusqu’en 1910. Transformée en garage dans les années 1930, la villa fut ensuite détruite. D’autres riches Montréalais étalaient leurs somptueuses villas entourées de vastes jardins sur cette Côte-à-Baron qui dominait la vieille ville et ses faubourgs; la villa Notman est un des derniers de ces édifices remarquables. Construite en 1844 à la demande du juge William Collis Meredith, la demeure est devenue la propriété du célèbre photographe montréalais William Notman en 1876. En 1891 elle fut achetée par George Drummond pour y loger le St. Margaret’s Home for the Incurable et a été sauvée par l’action des citoyens du secteur qui se sont opposés récemment à sa dénaturation par un projet immobilier sans qualité.

Au début du XXe siècle, la construction de la synagogue Sharre Tfile rue Milton marqua les débuts de la migration de la communauté juive des vieux quartiers vers les faubourgs plus au nord, autour des manufactures, des ateliers et des échoppes qui s’établissaient le long de la rue Saint-Laurent devenue boulevard en 1905. Dans les années 1950, la synagogue a cédé sa place au théâtre yiddish, le Melody Theatre, puis à une boîte à chanson, le Chat noir de Claude Léveillée, et enfin, des années 1960 au début des années 1990, à un cinéma de répertoire, avec L’Élysée et le Cinéma Festival. Après avoir accueilli le Business, première boîte branchée du boulevard, l’usine Reitman devenait le siège d’une entreprise pionnière du multimédia, Softimage.
Texte : Bernard Vallée

FRAG 3653 Saint-Laurent
En haut de la rue Prince-Arthur
Les disparus du Baxter Block

James Baxter était un homme d’affaires d’origine irlandaise. Établi à Montréal depuis 1877, il avait ses bureaux au 120 de la rue Saint-François-Xavier, au cœur du quartier des affaires de l’époque. Surnommé « Diamond Jim » à cause de ses activités de courtage en diamants, il dirigeait également une des plus importantes banques privées du Canada, la banque Ville-Marie. Ses activités dans le domaine de la promotion immobilière le conduisirent à embaucher le jeune architecte Théodore Daoust pour dessiner ce qui allait devenir le Baxter Block. Au cœur de l’axe de la rue Saint-Laurent en plein essor, le projet initial prévoyait 28 magasins et un théâtre de 2 500 places qui ne sera jamais construit. L’édifice néo-roman multifonctionnel à 14 sections de trois étages a l’apparence d’un immeuble de prestige et représente un des premiers «  centres d’achat » en même temps qu’un regroupement de manufactures et de bureaux.

Celui qui a doté la Main d’un de ses plus beaux édifices commerciaux et qui était pourtant connu pour sa philanthropie fut tenu responsable, en 1900, de la disparition de 40 000 $ de sa banque. Il fut jugé et condamné à cinq ans d’emprisonnement au terme desquels il décéda à l’âge de 66 ans.
Texte : Bernard Vallée

FRAG 3981 Saint-Laurent
L’industrie de la confection

Le boulevard Saint-Laurent a été pendant près de soixante ans le centre de la confection de vêtements au Canada, ce dont témoignent aujourd’hui des édifices très visibles dans le paysage urbain comme le Balfour érigé au coin de la rue Prince-Arthur, le Cooper près de la rue Bagg et le Vineberg situé à l’angle de la rue Duluth. Dans cette industrie autrefois florissante, une grande partie des propriétaires et des travailleurs étaient d’origine juive, ce qui n’empêchait pas des ouvriers de toutes nationalités d’y travailler, dont au cours des années trente un grand nombre de jeunes femmes canadiennes-françaises. Ce milieu a donné naissance à des mouvements ouvriers et à des conflits sociaux d’une très grande ampleur, dont la grève des midinettes de 1937, à laquelle participèrent des figures issues de la gauche comme, entre autres, Léa Roback. Aujourd’hui ces grands bâtiments délaissés par les couturières et les tailleurs sont devenus des ateliers pour les artistes et des bureaux pour les entreprises en multimédia, maintenant florissantes sur la Main.
Texte de Pierre Anctil

FRAG 4244 Saint-Laurent
Entre les rues Rachel et Duluth
L’immigration portugaise

Première grande vague migratoire de l’après-guerre, les Portugais commencèrent à arriver au Canada à partir de 1953 pour combler les besoins en main-d’œuvre agricole et industrielle du pays. Originaires pour la plupart des îles Açores situées au milieu de l’Atlantique, ces immigrants s’installèrent dès le départ à Montréal sur le pourtour du boulevard Saint-Laurent, où ils prirent la place de populations juives en voie de se déplacer vers l’ouest de la ville. Les Portugais ne tardèrent pas, au cours des années cinquante et soixante, à fonder des commerces, des restaurants et des organisations socioculturelles qui donnèrent une nouvelle couleur à la Main et enrichirent son patrimoine. En 1975, en reconnaissance de leur contribution exceptionnelle à la revitalisation et à la mise en valeur du Plateau-Mont-Royal, l’Ordre des architectes accordait à la communauté un prix collectif.
Texte de Pierre Anctil

FRAG 4355 Saint-Laurent
Coin Marie-Anne
Marie-Anne/Saint-Laurent

En 1834, la succession du notaire Jean-Marie Cadieux de Courville fait lotir sa terre et tracer les rues auxquelles on donne les noms de membres de la famille Cadieux : Rachel et Henriette Cadieux de Courville, filles du notaire et épouses des frères et très patriotes Chamilly et Chevalier De Lorimier ; Napoléon, fils de Rachel mort en bas âge comme bien des bébés nés à cette époque ; Marguerite Roy, épouse de Cadieux ; Marie-Anne Roy, sœur de Marguerite et épouse d’Hippolyte Cherrier. Les rues Prince-Arthur et de Bullion ont déjà porté les noms de Cadieux et de De Courville et les avenues de l’Hôtel-de-Ville et Coloniale, ceux de Pantaléon et d’Hippolyte, les deux fils du notaire ! La rue Henriette disparaîtra à cause du développement plus rapide de la rue Marie-Anne.

Au-delà de la barrière à péage qui marquait la limite nord de Montréal (la rue Duluth actuelle) jusqu’en 1886, on traversait le village Saint-Jean-Baptiste dont le cœur et les poumons étaient la place du marché (actuellement parc des Amériques) et le square Vallière (parc du Portugal). Le chemin Saint-Laurent qui traversait toute l’île de Montréal, de la vieille ville à la rivière des Prairies, voyait passer chariots de pierres taillées, charrettes de produits agricoles et diligences de voyageurs qui s’arrêtaient devant les hôtels côtoyant les maisons de ferme et d’artisans au pied des grands ormes.

L’arrivée du tramway, les «  p’tits chars », bouleversa cette quiétude rurale et la Main industrieuse, immigrante et festive s’étendit vers le nord, transformant les anciens villages en quartiers grouillants de vie urbaine aux accents de l’Europe centrale juive, puis, plus tard, du Portugal, de la Grèce, de l’Amérique du Sud et des Antilles.
Texte : Bernard Vallée