[Automne 2009]
Projex-Mtl Galerie, Montréal
Du 30 avril au 20 juin 2009
Il y a certes, chez Thomas Kneubühler, du document. Une conscience de recenser, par l’appareil, ce qui l’entoure. Une conscience de ce que peut opérer cette pratique de prélèvement d’images sur l’imagination du spectateur. En fait, Thomas Kneubühler se promène sans doute, caméra au poing, scrutant tout autour de lui, a l’affût de ce qui retiendra son attention, le frappera, le mobilisera.
Ce déclencheur, il l’a trouvé lorsqu’il a vu pour la première fois, dans les Cantons de l’Est, la montagne Bromont, apprêtée de la luminosité irréelle que lui procure le fait d’être ouverte en soirée aux amateurs de ski. Ce sont en effet 500 000 watts qui sont utilisés à cet effet. Sur les images, cependant, les skieurs disparaissent; on ne voit plus que les pentes illuminées. Les longues expositions nécessaires à la saisie de ces images ont annulé toute présence humaine. Les montagnes sont là, vides; leur mille feux ne servent plus à rien et semblent une dépense honteuse, immotivée. Pourtant, ces œuvres ne sentent pas la charge idéologique. Dans un texte, Thomas Kneubühler dit néanmoins sa surprise. Ce n’est pas qu’il soit étranger aux montagnes; il est suisse. Mais celles-ci ont toujours signifié pour lui une sorte de présence lourde, sauvage et lointaine; sans commune mesure avec cet apprivoisement par l’homme, cet asservissement à ses besoins de loisirs. Aussi a-t-il senti le besoin de les singulariser par cette exposition qui cherche à en montrer les contours. Cette surprise, elle se mue en une sorte de glossaire par images, de typologie en vues tournantes. Les montagnes sont saisies en des angles différents. On imagine aisément Thomas Kneubühler tourner autour de chacune. On voit d’ailleurs, dans un do- cument qui accompagne l’exposition, ce qu’il a fallu de randonnées, de virevoltes autour, de marches dans le noir et dans le froid, caméra à l’épaule, pour dénicher le lieu approprié pour un bon point de vue, pour trouver le bon angle. Mais on ne dirait rien si on ne parlait pas de la répartition des œuvres dans l’espace. Car cela est souvent révélateur. L’artiste y va en effet de quelques images grand format qu’il présente, dirait-on, sans apprêts. Les titres n’en disent pas plus qu’il ne faut (Electric #1, #2, #3, etc.); ils sont de l’ordre du pur constat. À des œuvres aux dimen- sions plus impressionnantes répond un ensemble d’œuvres de plus petites proportions qui forment une sorte de grille ou de quadrillé. Présentation un brin austère donc, et cela doit être noté.
Aux images s’ajoute une œuvre vidéo, courte bande sans cesse reprise, montrant une station de ski (Bromont) dont la lumière s’éteindra tantôt. Là aussi tout est vide. Les lumières ne brillent pour aucun skieur. Avec la lumière disparaîtra aussi un grésillement dont on apprend bientôt que c’est une œuvre sonore, créée par Steve Bates qui apporte ici sa contribution à l’exposition.
Il s’agit bien donc d’une insistance et d’une propension vers la rigueur. Le sujet est répété pour que l’on voie bien qu’il s’agit d’une récurrence, donc significative. Constante prouvée par cette répétition et cette insistance sans fard ni théâtralisation. Nous avons bien là un « cas », un invariant qui mérite examen. Puis viennent les images devant faire le tour du sujet. Pour ne pas nuire à l’observation rigoureuse, il est décidé de les présenter sobrement, sans cadre trop distrayant. Mais, en même temps, on est tout de même loin de tout catalogage. Il ne s’agit pas d’entrées ni de planches encyclopédiques.
Une dernière œuvre vient surprendre le spectateur. Elle a elle aussi exigé que l’artiste demande l’assistance d’un autre artiste, Geoffrey Jones. Ce dernier a conçu les panneaux LED illuminant de tous leurs feux infernaux la dernière image, intitulée Mount Horton’s, promontoire aux allures de montagne âpre, découvert à Laval, vraisemblablement dans un stationnement (derrière un Tim Horton? On se plaît du moins à le croire!) comme le prouvent les lampadaires qui le surplombent.
S’il demeurait difficile de sentir qu’exis- tait une position critique devant les autres images de Thomas Kneubühler, on peut convenir que ce dernier ajout est révélateur. La plasticité de cette fausse montagne, jointe aux effets lumineux éclatants des panneaux LED et de l’éclairage auquel ils soumettent l’élévation, crée une instal- lation qui se veut à la fois un analagon et un simulacre. On reste perplexe devant l’ensemble, la dernière pièce semblant si évidemment venir conclure le parcours et elle le fait non sans une bonne dose d’humour actif, la chaleur dégagée par les panneaux ne pouvant que faire fondre la neige accumulée là grâce au déneigement. Mais il en va souvent ainsi chez Thomas Kneubühler. Il utilise tous les acquis de la photo documentaire; il possède tous les réflexes de ce type de photographe. Mais c’est souvent pour en arriver à une retenue éthique. Ses œuvres ne profèrent ni condamnation ni apologie; elles montrent, voilà tout. Mais elles le font de façon un brin retorse. Car ce qu’il a choisi de montrer n’est pas sans exhaler un certain parfum d’idéologie. Il lui a suffi de choisir, dirait-on, et le reste vient de lui-même. Et peut-être est-ce là l’enjeu de cet artiste : toute chose, autour de nous, est idéologiquement marquée, dans les transformations nombreuses que les hommes font subir à tout. Il s’agit de braquer l’appareil, de viser et de déclencher. Ce qui a été saisi se montrera bien dans toutes ses connotations et références.
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, ETC, Photovision et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai, Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.