Gwenaël Bélanger, Casser l’image – Anne-Marie St-Jean Aubre

[Printemps 2010]

Casser l’image
Expression, centre d’exposition
de Saint-Hyacinthe
Du 7 novembre au 20 décembre 2009

Récipiendaire du prix Pierre-Ayot 2009, l’artiste Gwenaël Bélanger se voit doublement récompensé en cette fin d’année également marquée par la tenue d’une première exposition-bilan, Casser l’image. Organisée par le commissaire Yann Pocreau, elle fait le point sur plus de dix années de pratique artistique soutenue.
Cet intitulé prend tout son sens dès notre entrée dans la salle principale du centre Expression où débris, éclats et jaillissements, tant visuels que sonores, nous accueillent. Agissant comme prémisse, Le faux mouvement (2008), une photographie en plusieurs panneaux mesurant plus de huit mètres de long, donne le ton. Adoptant un point de vue au ras du sol, l’œuvre témoigne de l’effet produit par la chute de nombreux miroirs qui, au contact d’un plancher en ciment, volent en éclats. Véritable tintamarre visuel réfléchissant la lumière, le panorama dévoile clairement le caractère illusoire de l’image spéculaire – et de son alter ego, l’image photographique –, une simple surface bidimensionnelle qui, par son morcellement, n’arrive plus à nous faire croire à sa vérité. C’est d’ailleurs sous la forme d’études des différentes potentialités et limites des procédés photographique et vidéographique que se déclinent la majorité des œuvres sélectionnées à Saint-Hyacinthe. Petits laboratoires, elles mettent en scène des situations permettant l’observation minutieuse des paramètres que sont le mouvement, le cadrage et son hors champ, la temporalité – tant celle inscrite dans l’image que celle l’excédant –, tous des éléments affectant le moment de la prise de vue et sa résultante, l’image.

L’effet de la gravité sur les corps et l’inévitable mouvement que cette attraction engendre est exploré dans Chutes (2003). Ciblant chaque fois un objet de couleur et de consistance différentes, allant d’un gâteau Forêt-noire à une boule de papier chiffonné en passant par un pot de fleurs ou une poupée, les douze images au cadrage serré les montrent à divers stades de leur descente. Véritable decrescendo visuel, cette série se conclut par la présentation d’un vase de porcelaine à quelques centimètres du sol, virtuellement arrêté dans sa chute par le déclic de l’appareil photographique, capable de figer le mouvement en suspendant le temps. Repoussant vers le hors champ temporel des images l’accomplissement de chacune des actions déclenchées, l’artiste laisse au spectateur le soin d’imaginer non seulement la conclusion de cette trajectoire mais aussi son après, ce moment qui suivra l’expérience. Ailleurs, Le grand fatras (2005) donne à voir au sein d’une même photographie une pluie d’objets hétéroclites tombant littéralement du ciel;
sécheuse, distributrice à eau, fauteuil et piano ont touché ou sont sur le point de toucher le sol, parsemé de flaques d’eau boueuse. Dans Courir les rues (2006), il ne s’agit plus d’arrêter le mouvement mais plutôt d’en traduire la durée, en laissant paraître ses effets sur l’image. Sillonnant les artères de Montréal et de Toronto, Gwenaël Bélanger a ainsi produit de larges paysages qui matérialisent, au moyen du flou, la distance temporelle et spatiale parcourue.

Jouant la carte de l’anticipation, Chutes titillaient notre curiosité et nous amenaient, presque malgré nous, à nous représenter mentalement la fin de ces scènes interrompues : aplatissement, rebondissement, dislocation, désintégration… Ce moment de jubilation différée trouve éventuellement son aboutissement dans la vidéo Casser l’image (2009), où plusieurs panneaux de verre transparent se fracassent au seuil de l’image. À peine quelques secondes et l’intervention est finie; ne reste à voir, enfin, que l’après du moment, qui se révèle moins ludique qu’on ne se l’était imaginé. Une banale et silencieuse séance de balayage – dont la durée excède de beaucoup ce qui devait être le point culminant de l’œuvre – fait suite à cet instant foudroyant. Quatre balayeurs rassemblent les fragments de vitre éparpillés, présentés en salle au côté de la vidéo, comme si l’image ne suffisait pas à nous faire croire à la vérité de la scène.

Au hors champ temporel se substitue une étude du hors champ spatial, abordé de manière plus prégnante par la vidéo Le tournis (2008). Alors que Le faux mouvement nous donnait accès à des bribes de l’espace situé derrière l’objectif photographique grâce aux reflets des miroirs, Le tournis, cherchant à dépasser les limites imposées par le cadre de la prise de vue, donne à voir le plan filmé par une caméra tournant sur elle-même. De nouveau, des miroirs en chute libre traversent le champ de l’image, introduisant une mise en abîme du dispositif à même son cadre. Difficile de ne pas penser au travail de Luc Courchesne face à cette œuvre qui privilégie mouvement et superposition d’images pour donner accès à l’entièreté de la scène représentée, un objectif que Courchesne atteint grâce au panoscope, qui est un appareil photographique de son invention. En nous rendant sensibles à cette donnée qu’est le cadre, limitant ce que nous percevons du contexte de la prise de vue, Le tournis nous ramène à la source même de la perception, l’individu. C’est à lui que s’attarde Bélanger dans Poursuivre le hors champ (2008), une immense mosaïque formée par l’alignement de 250 tuiles de miroirs pourvues chacune d’un petit moteur indépendant les faisant s’incliner légèrement de diverses façons. Placé devant la surface réfléchissante, le spectateur sera surpris de voir bouger dans le reflet ce qui, pourtant, est stable derrière lui, une manière de le faire réfléchir à la subjectivité de toute perception.

Par le choix rigoureux des œuvres présentées, Casser l’image nous permet de découvrir la cohérence de la pratique artistique de Gwenaël Bélanger. Seule œuvre déroutante dans ce parcours, Best of (2007), un projet photographique et vidéographique reprenant le geste iconoclaste de Jimmy Hendrix, détruisant sa guitare lors d’un concert en 1967. Bien que l’on y retrouve cet intérêt pour l’éclatement, en filigrane dans toute l’exposition, cette œuvre nous entraîne sur un terrain qui n’est plus celui de la réflexion sur les procédés de l’image. En effet, Best of nous plonge davantage dans l’univers du rock et de ses légendes, une avenue qui surprend dans le paysage de Casser l’image.

Commissaire indépendante, Anne-Marie St-Jean Aubre a obtenu une maîtrise en études des arts à l’Université du Québec à Montréal en 2009. En plus de contribuer régulièrement à divers magazines, elle a donné des cours en histoire de l’art au Musée d’art de Joliette et occupe présentement le poste de coordonnatrice à la production au magazine Ciel variable.