[Printemps/Été 2011]
CIel variable 88 – VISAGES / Ouvrages à souligner
Photographie et histoire nationale
Trois ouvrages reçus récemment articulent photographie et histoire ou imaginaire national. L’intérêt de Photography and Italy (Reaktion Books, Londres, 2011, ang) de Maria Antonella Pelizzari est qu’il propose un dialogue entre le développement de la photographie comme médium et les changements politiques, sociaux et culturels qui ont affecté l’Italie depuis son unification dans les années 1860, en insistant sur le rôle joué par l’image dans le développement de l’identité nationale. L’objectif de l’auteure est de faire connaître l’histoire de la photographie italienne, peu diffusée puisque les ouvrages s’y intéressant sont peu traduits, ce que la bibliographie sélective et ses nombreuses références en italien mettent clairement en évidence.
A Cold War Tourist and His Camera (McGill-Queen’s University Press, Montréal, 2011, ang) aborde son sujet sous l’angle de la photographie vernaculaire. Martha Langford, spécialiste de la photographie, et John Langford, politologue, se penchent sur les quelque 200 diapositives prises en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique par leur père, un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale ayant rejoint la fonction publique fédérale. Comprenant de nombreuses images, cet ouvrage met en contexte l’album de famille d’un témoin privilégié des positions du Canada quant à la guerre froide, qui ne cherchait paradoxalement pas à « faire l’Histoire » avec ses photographies mariant l’anecdotique et le politique.
Réunissant le travail de 18 artistes et de cinq auteurs, l’ouvrage collectif Nordicité (J’ai VU, Québec, 2010, fr/ang), dirigé par Pierre Dessureault, explore ce concept aux multiples ramifications – géographiques, sociales, culturelles, symboliques alimentant un imaginaire commun aux pays nordiques se faisant écho par-delà leurs frontières. Ce sont les représentations du Nord qui sont ici abordées et critiquées par ces artistes, qui se distinguent par la multiplicité de leur approche, qu’il s’agisse de photographie documentaire, d’autoreprésentation, de recherches picturales, d’installation multidisciplinaire ou de paysage classique.
Le statut du document
Le statut ou les enjeux de la documentation photographique des pratiques artistiques éphémères est de plus en plus abordée; Ciel variable traitait justement de ces questions dans son avant-dernier numéro, CV86 – Performance, dont le dossier thématique était dirigé par Anne Bénichou.
Ouvrir le document. Enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains (Les presses du réel, Paris, 2010, Fr), également dirigé par Anne Bénichou, s’attache à la mutation du statut et des usages de la documentation et tente d’en mesurer les incidences sur la notion d’œuvre d’art, sur l’écriture des histoires de l’art et sur les pratiques institutionnelles. Le livre, qui résulte en partie d’un colloque tenu à l’ACFAS en 2006 et inclut de nombreuses nouvelles contributions, présente quatorze études de cas rédigées par autant d’auteurs, dans un découpage thématique bien argumenté.
L’ouvrage collectif universitaire dirigé par Janig Bégoc, Nathalie Boulouch et Elvan Zabunyan,La performance. Entre archives et pratiques contemporaines (PUR, Rennes, 2010, fr), est divisé en deux parties. Il comprend d’abord les textes des communications prononcées lors d’une journée d’étude en novembre 2005, puis un abondant dossier iconographique malheureusement en noir et blanc qui fait tout son intérêt. Accompagné de courtes présentations, il donne accès à des documents issues des Archives de la critique d’art, qui mettent en lumière leur rôle de médiation pour une relecture de la performance.
Plutôt que d’aborder ce qui succède à l’œuvre, Protocoles documentaires (1967-1975) (Vincent Bonin, dir., Leonard & Bina Ellen, Montréal, 2010, fr/ang) vise à réhabiliter la documentation administrative issue des pratiques artistiques qui ont mené à l’avènement des centres d’artistes autogérés, des structures mises en place par des artistes dans les années 1960, qui ont par la suite influencé l’esthétique des œuvres des années 1970. Ce catalogue est la troisième étape d’un projet qui comprenait également deux expositions montrant les archives de quelques centres d’artistes, problématisant, par leurs stratégies d’exposition, une ambiguïté de statut entre œuvre et document.
Catalogue
Deux catalogues dont l’aspect graphique a été travaillé en fonction de leur contenu sont dignes de mention. Afin de témoigner des six années de travail qui auront été nécessaires à la production de l’œuvre d’art public Annorstädes / Elsewhere / Ailleurs,une série de plus de 20 projections vidéo laissant entrapercevoir des paysages filmés sur tous les continents se succédant sur les murs de la gare de train Malmö C, Tania Ruiz Gutiérrez a produit un livre éponyme (Aliubi Atque Aliubi, 2010, fr/ang/esp) abondamment illustré, au format panoramique tout à fait approprié.
Lauréat du prix Louis-Comtois 2009, Daniel Olson a fait paraître en 2010 le catalogue de sa première exposition rétrospective présentée en 2008, sous le commissariat d’André-Louis Paré, au centre d’exposition Expression. Daniel Olson, Beside Myself / Hors de moi (Expression, Saint-Hyacinthe, 2010, fr/ang) est la première monographie dédiée à cet artiste multidisciplinaire, conceptuel et amusant une publication importante rassemblant plusieurs œuvres témoignant de son parcours des 20 dernières années dans un format qui imite les livres de la maison Gallimard.
Anne-Marie St-Jean Aubre