Nicolas Baier, Vanité / Autoportrait – Sonia Pelletier

[Hiver 2013]

Nicolas Baier
Vanité
Galerie René Blouin, Montréal
Du 18 février au 24 mars 2012

Autoportrait
Esplanade de la Place Ville-Marie, Montréal
Septembre 2012

D’une exposition à l’autre, depuis la fin des années 1990, tout en privilégiant l’image comme mode expressif, Nicolas Baier nous a fait voir des changements en apparence audacieux au sein de son travail. Nous proposant par ses sujets des pistes d’élaboration et de réflexion sur la construction du réel par l’image, tout en révélant les limites des outils technologiques qui utilise, il nous a toujours montré l’aspect intérieur et extérieur des choses. Si on pense à l’évolution de son travail entre les expositions Liquidation Nico & Cie (1999), Scènes de genre (2003), Tableaux de chasse (2006) et Paréidolies (2008-2010), celles-ci nous auront certes surpris au premier coup d’œil, mais nous conviendrons aujourd’hui qu’elles contenaient plusieurs dénominateurs communs ainsi qu’une cohérence dans l’exploration de leurs propos.

Les plus récentes œuvres de Nicolas Baier présentées à la galerie René Blouin puis sur l’esplanade de la Place Ville-Marie à Montréal dans le cadre du 50e anniversaire de ce complexe immobilier ont de quoi impressionner et s’interroger. Pour un spectateur habitué à voir un travail révélé essentiellement par l’image photographique, l’œuvre saisissante mise en espace chez René Blouin, Vanité, nous amène radicalement ailleurs mais dans une sorte d’étrange familiarité quant au corpus antérieur de l’artiste. La pièce maîtresse placée au centre de la salle principale, nous happe littéralement. Aussi rutilante qu’une voiture de prestige, cette sculpture monumentale représentant un bureau de travail bien équipé, trône dans une boîte de verre. Cette reproduction d’un espace de travail invitant mais inaccessible au toucher, comprenant table, chaise, lampe, ordinateur, écran et périphériques miroite de tout le nickel qui le recouvre. Sur un des murs lui faisant face, un montage photographique illustre une caverne ; sur l’autre, un œil est encastré. Dans une salle adjacente, au sol, une pièce sculpturale sur socle montre une numérisation 3D d’un nodule. Sur les murs, une image d’un nuage et d’une figure ovale noire. On reconnaît ici les éléments constitutifs des propos antérieurs de l’artiste portant sur la matière minérale, la vanité et les lieux du regard.

Sur le plan expressif, semblable à la pièce spectaculaire en galerie mais déployée en plus monumental (8 x 10 x 20 pieds) sur l’esplanade de la Place Ville-Marie, Autoportrait renferme en son écrin de verre tout l’appareil clérical que l’on retrouve habituellement dans les sallesde conférences de ces tours à bureau. Ici, Baier a notamment reproduit avec ce même chrome une table de conférences, plusieurs chaises, un écran pour projection, un portable, une cafetière, du papier, des documents, un cendrier, une tasse à café, des lunettes, etc. De quoi intriguer et même faire sourire tout passant et usager qui fréquentent cet espace public.

Qu’ont en commun ces importants travaux nouveaux de Nicolas Baier ? Mimétiques, ils figurent d’emblée le monde des apparences et pourraient être relégués au rang d’œuvres kitsch ou bling-bling à la Jeff Koons pour ne citer qu’un exemple. Mais au-delà de leur aspect clinquant, de leur efficacité visuelle, ne pourrait-il pas s’y cacher aussi une critique acerbe de la société contemporaine ? Cette représentation, de nature ostentatoire, fait étalage de modes de vie actuels tape-à-l’œil dont la mise en scène se rapproche de la parodie. Environnements aseptisés, enfermement, solitude. Une cage que l’on regarde sans les animaux et qui nous laisse une impression de vide et de mort. De plus, dans ces œuvres et de façon plus avouée par leur titre, Baier a introduit la notion de « vanité » propre à la nature morte pour désigner un genre dont les objets nous rappellent la précarité, l’éphémérité et la futilité de la vie sur terre. Selon l’artiste lui-même : « où l’œil se pose tout n’est que vanité » peut aussi être pris au premier niveau de sens.

Par ailleurs, depuis une décennie, l’artiste nous montre par l’image à la fois son processus de création et le lieu de travail où il s’effectue. Le bureau (l’atelier) et ses outils présentés chez Blouin frappait par leur conformité avec la réalité technologique contemporaine. Encore ici, on retrouve des références au travail antécédent dont le reflet, l’attention à la surface des objets, la référence au miroiret à la matière minérale nous faisaient nous questionner sur le rapport au réel de l’image photographique.

Dans cette même cohérence en processus d’évolution, le « lieu du regard », comme principal code de lecture, continue d’interpeller le spectateur. Quant à celui-ci, selon l’interrogation de Bernard Noël, « nous cherchons dans les images une ressemblance qui nous rassure, mais le visible n’est-il pas d’autant plus visible qu’il nous dérange ? »1 Est-ce pour cela qu’après avoir dit des œuvres photographiques de Baier qu’elles étaient comme de la peinture, l’artiste lui-même nous propose maintenant de la sculpture ? Cette transformation est porteuse d’une grande richesse.

Dans ses dernières œuvres, Nicolas Baier synthétise l’ensemble de ses processus de construction en y ajoutant une fonction critique. Ce qui fascine chez lui, c’est letalent et les moyens qu’il déploie pour nous montrer à la fois le tout et le presque rien. Il nous ramène aux questionnements fort simples mais fondamentaux que sont « D’où venons-nous ? », « Où allons-nous ? » et « Qu’est-ce que la réalité » ? toujours à propos, il me semble, pour mieux avancer.

1 Bernard Noël, Journal du regard, Paris. p.o.l., 1988. p. 17.


Sonia Pelletier est coordonnatrice à l’édition du magazine Ciel variable.

 
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